Avant Sancho Pança

Nous avons laissé don Quichotte au moment où il a terminé ses préparatifs. Il s’est donné un nom, un amour, une mission. Nous n’avons plus qu’à le suivre dans sa quête d’aventures.

C’est au petit matin qu’il quitte son logis.

“Et ainsi, sans communiquer à personne son intention et sans qu’aucun le vît, un matin, devant le jour (qui était un des plus chauds du mois de juillet), il s’arma de toutes pièces, monta sur Rossinante, ayant mis sa mal agencée salade, embrassa son écu, prit sa lance, et, par la fausse porte d’une basse-cour, sortit à la campagne avec un très grand contentement, et tout ému de joie de voir avec combien de facilité il avait donné commencement à son désir.”

(Don Quichotte, I, 2)

Le voilà donc, sur la route, tout seul… Il n’a pas d’écuyer, il n’est pas encore chevalier !

C’est d’ailleurs tout le problème en cette première journée de l’aventure. Comment pourrait-il se défendre, combattre, affronter les méchants s’il n’a pas le droit de se servir de ses armes ? Il n’a pas été adoubé, armé chevalier.

Un héros des temps modernes passerait son permis de conduire ou de voler, il s’initierait à la pratique d’arts martiaux, étudierait dans les plus grandes académies. Pour emprunter la voie de la chevalerie errante point n’est besoin de tant d’artifices, mais il faut être reconnu par l’un de ses pairs, être armé chevalier.

Don Quichotte passe donc sa première journée à chercher le chevalier qui pourrait l’adouber. Il ne trouve rien, se lamente, invoque la dame de ses pensées. Dulcinée est là, compagne invisible, celle qui guide ses pas. Il lui parle, lui confie ses tourments.

Le soir venu, alors que notre cavalier « las et mourant de faim » se demande où il va bien pouvoir passer la nuit, apparaît une auberge.

Don Quichotte pourrait s’y trouver confronté à la réalité. Il n’en est rien.

L’auberge devient château, les filles de joie qui plaisantent à l’entrée se muent en damoiselles, un porcher qui passait par là tient le rôle attendu du héraut qui se devait d’annoncer l’arrivée d’un si distingué visiteur et l’aubergiste se métamorphose en digne châtelain qui pourra enfin lui donner l’accolade tant désirée.

Les détails sont nombreux : le maigre repas, la supplique faite au tavernier qui décide de profiter de l’occasion pour amuser ses clients au dépens de don Quichotte, la veillée d’armes autour d’un puits, les muletiers et la bataille que doit mener le héros pour défendre ses armes contre ces ennemis d’un genre particulier… Il faut lire et s’en délecter.

Quichotte_Coypel.jpg
Charles-Antoine Coypel (1694-1752)
Don Quichotte reçu par les filles de l’hôtellerie
[Huile sur toile – 81 x 98 cm]
Londres, Marché de l’art
(John Mitchell Fine Painting)
Photo : John Mitchell Fine Painting

Tout se passe comme si nous avions d’une part la réalité et de l’autre ce que le vieil homme voit, à travers le prisme de ses lectures passées. Il interprète constamment… et agit comme il pense qu’il le doit dans le monde où il se croit.

N’agissons-nous donc pas ainsi ?

Nous sommes sans doute plus raisonnables, moins passionnés mais nous donnons aux choses et aux êtres qui nous entourent des rôles et des pensées qui ne sont sans doute pas tout à fait conformes à leur réalité.

Nous les adaptons à la nôtre.

C’est ainsi que fait don Quichotte, et si sa caricature de la réalité nous fait sourire parfois, elle nous attendrit aussi. Nous commençons à le comprendre, à vouloir le protéger.

C’est un enfant malgré son âge. Un enfant, doux et rêveur, qui voudrait que le monde soit beau.

Le tavernier apprend à don Quichotte que les potions magiques et les gentils enchanteurs n’étant pas toujours au rendez-vous, un chevalier errant doit se munir du nécessaire, avoir un écuyer qui portera l’argent, les onguents et les chemises de rechange. Ce sera la première leçon.

Don Quichotte est armé chevalier dans la cour de l’auberge, bien avant le petit matin, par un tavernier anxieux dont le plus cher désir est de se débarrasser au plus vite de cet hôte encombrant.

“C’était environ l’aube du jour quand don Quichotte sortit de la taverne, si content, si gaillard et si réjoui de se voir fait chevalier que la joie lui sortait par les sangles du cheval (…)”

(Don Quichotte, I, 4)

Il rentre chez lui, mais son retour sera-t-il de tout repos ? Vous le saurez demain…

… si vous le voulez bien !

54 commentaires à propos de “Avant Sancho Pança”

  1. Voilà de très belles et originales « fiches de lecture ». On sent que tu l’aimes ce Don Quichotte…
    Re-BISOUS. J’attends la suite …

  2. il est important de préciser que Don quichotte est l’un des premiers, voir le tout premier véritable « roman » de la litérature, en ce sens qu’il raconte pour la première fois une fiction dont le seul but est de divertir, or à l’époque où il est écrit, on n’écrivait que des choses sérieuses et véridiques.

    • C’est le premier roman de la littérature… où la littérature joue aussi un grand rôle. Les Espagnols le comparent à Madame Bovary. Qu’en penses-tu ?

  3. « si réjoui…que la joie lui sortait par les sangles du cheval… »
    beaucoup du roman se trouve condensé dans ces quelques mots… on imagine l’allure primesautière de Rossinante (si c’était possible) d’un cavalier tout ragaillardi et souriant (malgré ses dents ébrèchées) …gonflant ses poumons pour hurler l’amour de sa belle Dulcinée du Toboso…
    ciao à toi

    • Certaines formules sont magnifiques… personnellement elles me touchent beaucoup.

      Merci pour ta visite… et bienvenu dans la bibliothèque.

    • Si tu lis tout, du début à la fin, oui, tu finiras par devenir incollable… Morte de rire !

      Bonne semaine à vous deux…

  4. BESOS MUY FUERTES desde la bibliotéca de albatera

    pienso en todos vosotros y en ti en particular
    tilk

  5. Super ! On retourne au début de l’histoire. Merci Quichottine de ressortir ce vieux document. Bisous.

  6. Rêveur, certainement… Mais, il est passé à l’acte.
    Après s’être imprégné de « sa réalité » il a traversé le miroir, et il est rentré, tout droit dans son histoire…
    Tu poses la question de savoir si nous aussi ne voyons pas les autres « à travers nos pensées »…
    Certainement.
    Mais combien auront l’audace de passer de l’autre côté ?

    • Passer de l’autre côté du miroir… C’est une décision difficile à prendre.

      Je crois qu’il est plus facile de se contenter de ce que l’on a.

      Passer de l’autre côté, c’est risqué! En fait, je me dis que don Quichotte va se mesurer à lui même plus qu’aux autres.

      Lorsqu’on essaie d’écouter les autres, vraiment, sans s’entourer de tous ces filtres que nous nous créons, nous nous découvrons, nous prenons des risques. Risque de se tromper ou ne pas être compris…

      En fait, je n’ai pas de réponse à ta question.

  7. Je n’ai jamais lu Don Quichotte, mais tel que tu le racontes c’est très intéressant.

  8. Un monde doux et beau…

    Déjà si nous arrivions à ce que notre monde à nous, notre petit monde soit beau et doux quelle victoire ce serait…

    Je m’y emploie…à ma manière et je dois avouer sans vanité aucune que j’ai réussi souvent…de ceci je suis fière

    • Il y a de quoi être fière si tu as réussi.

      Je crois que c’est amusant que tu sois passée sur ce billet… Coïncidence.

      J’aime bien ces moments où j’ai l’impression que tout nous pousse vers un certain chemin.

      Merci, Lmvie.

  9. Bonsoir Quichottine,
    Peut-être qu’à l’âge où tu as lu Don Quichotte, tu aurais voulu l’accompagner pour le protéger.
    Bisous,
    Martine

    • Il représentait beaucoup pour moi… au début, rien que de sentir le livre dans les mains était merveilleux !

      Bisous et douce soirée.

  10. Pauvre Peter Pan médiéval…

    Dès cet instant, on sait qu’il nous faudra veiller sur lui. 

    La route sera longue. Quichotte sera le Candide que nous suivrons pas à pas. Il n’a pas fini de se faire berner. Nous, nous le savons. Lui, il l’ignore et continue sa route.

    Et moi, je continue mon exploration…
    Bises
    Roland

  11. Coucou, c’est un plasisir de te retrouver dans toute ta splendeur ! Je suis allée voir Eolina. C’est très sympa … Mais tu le mérites bien. Gros bisous

  12. Etait-ce de l’ivresse ou de la schizophrénie pour l’humble cavalier voulant devenir Chevalier ? Et dans notre monde actuel est-ce l’effet de quelque substance ou un quelconque trouble mental qui fait qu’un Président pense comme un roi de droit divin et non comme un élu du peuple … Il est à noter que l’humble Cavalier n’avait pas les mêmes desseins que le sus-nommé … LIZAGRECE

    • … Je dirai que c’est amusant que tu penses à ça… mais après tout, tu as raison.

      Mon chevalier ne cherchait pas à conquérir le monde, il voulait juste se battre contre les méchants.

      Merci pour ton passage, Lizza…

  13. Rêveur et naïf… à 200.000 lieues de la réalité..
    Attachant Don Quichotte dans sa fragilité. 
    Bisous Quichottine et bonne soirée

    • C’est tout à fait comme ça que je le vois… Merci, Clo, pour ton passage.

      Bonne soirée à toi aussi

  14. De l « innocence » , qui sans cesse va se heurter a la « realite » , en devenir victime , mais oh combien gagner de sympathie …
    Dans un autre registre , a une autre epoque , cela me rappelle un de mes films preferes : Forrest Gump .

    • C’est amusant… que tu y penses.

      C’est aussi un de mes films préférés !

      Merci pour ta visite, Vagabond.

  15. Un petit coucou pour te souhaiter une très bonne semaine…bises…Michka

    Si les bisous étaient de l’eau , je te donnerais la mer Si les câlins étaient des feuilles je te donnerais un arbre >> Si la vie était une planète je te donnerais une galaxie Si l’amitié était la vie , je te donnerais la mienne >> C’est la semaine de la famille & des « meilleurs ami( es) « envoies ce message à ceux que tu considères comme des amis , à moi si j’en fais partie s’il te reviens plus de 3 fois tu es quelqu’un d’adorable

  16. je me souviens il y a (très) longtemps, j’avais vu le film de Don Quichotte et ça m’avait fichu une frousse !!! et c’est tjrs resté un peu, il me fait tjrs un peu frissonner!!!
    bonne soirée

  17. Merci pour la chaîne de… mots. Je ne la ferai pas suivre… Je suis lasse de toutes ces chaînes… Mais j’aime les recevoir….
    Je vais être moins présente ces jours-ci. J’aide mon mari pour les élections municipales…. A bientôt. Bonne soirée Quichottine.

    • C’est vrai qu’il y en a beaucoup en ce moment… je dois dire que je n’ai fait suivre qu’à certains et que j’espère que les autres comprendront et ne m’en voudront pas !

      Bonnes soirées électorales, Eolina !

  18. Tu vois Quichottine, cette 1ère sortie de Don Quichotte parait bien triste en l’absence du fidèle écuyer. Les aventures ne manquent pas, mais ce qui manque c’est le reflet des pensées du héros solitaire dans le regard de son écuyer …
    Je vous embrasse noble Dame,

    • Comme c’est joliment dit, Muad… Tu as raison, Sancho manque cruellement à l’histoire…

      Merci pour vos baisers, noble Chevalier !

  19. Quelle belle histoire et que de souvenirs! Oui, doux rêveur, idéaliste, utopiste, le Don Quichotte… Zorro à la myopie virtuelle… Indispensables qualités pour vivre…. tempérées par le bon sens de Sancho qui est plus lucide…! BIZ toi!

    • Merci Handi@dy !

      (J’aime bien ta formule « Zorro à la myopie virtuelle »… je m’en souviendrai !)

  20. Et voilà … toutes mes excuses! j’ai donc dis una betisia….. ça fait un peu espagol ça non?
    Bisous encore
    Dany

    • Rire ! Ne t’en fais pas pour les bétises que tu as dites ou non, j’en dis aussi, plein !

      Bisous encore à toi aussi…

  21. Bpnsoir Quichottine ! je suis vraiment en train de me demander si je ne vais pas le relire « ton roman » .Je prends mon courage à deux mains et vogue la « galère » ! j’aime bien l’humour de Cervantès qui fait armer Don Quichotte par un tavernier.
    Belle soirée à toi ! bises ! 

    • Bonjour Morsli…

      C’est vrai qu’il manie l’humour avec beaucoup de doigté… C’est un livre à lire et à relire… Moi, je n’ai pas terminé.

      Je vais le reprendre bientôt.

      Merci d’être passé… Je t’embrasse.