Souvenir d’internat (5)

C’est aujourd’hui dimanche…

– Ah non ! Tu ne vas pas nous chanter cette vieille rengaine !

– Pourquoi pas ? Je la trouve toujours aussi jolie… mais triste, tu as tout à fait raison, ce n’est pas le moment. D’ailleurs, je n’y pensais pas.

Nous sommes dimanche aujourd’hui, nous étions dimanche aussi là-bas, à l’internat.

Un weekend sur deux, c’était ce que nous appelions la “petite sortie”.

Après le petit déjeuner au réfectoire et avant le retour au dortoir où tous quittaient l’uniforme pour une journée en famille, nous nous rendions à la chapelle.

Nous y assistions à la messe (sauf celles qui en étaient dispensées car elles ne pratiquaient pas la même religion, il y en avait fort peu).

Moi, je m’étais inscrite à la chorale religieuse. Mon professeur de piano tenait l’orgue. C’était presque une obligation, mais que j’accomplissais avec plaisir.

Nous chantions à quatre voix. Dans l’orchestre, j’aurais joué du violoncelle, là, j’étais alto, ou contralto, suivant les partitions.

Mais j’aimais, sans doute parce que je chantais juste, sans changer de registre malgré la proximité de celles qui interprétaient les autres voix.

J’aimais parce que mon professeur m’avait félicité… ce qui était si rare pour moi.

Nous étions à la tribune, et lorsque nous ne chantions pas, je laissais mon regard parcourir la nef, le chœur, ou les vitraux. J’écoutais d’une oreille distraite notre aumônier faire son sermon du haut de sa chaire. C’était toujours une impression étrange, j’étais là sans y être vraiment, sauf lorsque j’unissais ma voix à celles de mes compagnes et que l’orgue envahissait tout l’espace.

Le “Ite missa est” nous donnait le signal pour un dernier chant ou un dernier morceau de musique aux accords incroyablement sonores.

Ensuite, en rang, en silence, nous filions au dortoir, les filles se changeaient très vite avant de pouvoir enfin s’éparpiller et retrouver la vraie vie, sans plus de règles ou d’uniforme.

Moi, je restais le plus souvent, pour des instants différents  dans des locaux presque vides, dans le parc qui s’ouvrait davantage, avec des allures de vacances.

Nous pouvions alors nous asseoir dans l’herbe ou parcourir des chemins interdits pendant la semaine.

Nous avions des moments dans nos classes, pour y travailler ou écrire à nos lointaines familles. Les lettres étaient données ouvertes à notre surveillante. Sans doute étaient-elles lues avant d’être cachetées et postées. Mais cela ne me gênait pas. J’avais décidé d’écrire en espagnol à Maman. Précaution sans doute inutile puisqu’il y avait sûrement quelqu’un parmi l’encadrement qui aurait pu les traduire… mais qui me rassurait.

L’espagnol m’unissait à Maman qui me répondait dans la même langue, et j’avais depuis ma première rentrée là-bas mon livre bleu sous le bras.

Je m’y plongeais lorsque j’avais besoin de réconfort, j’y retrouvais mon Chevalier à la Triste figure, je lui donnais plus qu’un nom, un visage, des mots qu’il n’avait pas encore dits, que je n’avais pas encore lus.

Ma lecture me permettait de ne pas perdre les tournures de phrase, les sons qui me plaisaient tant.

Vous allez rire, mais mon Don Quijote était comme une chanson, une complainte, une aventure que m’aurait contée un troubadour des temps anciens.

Je m’y accrochais sans savoir que je déciderais un jour de le prendre pour parrain.

Le dimanche, il était encore plus présent, je pouvais à loisirs oublier le confinement… un peu comme aujourd’hui, alors que je n’avais pas encore de clavier et d’écran pour le partager avec vous.

J’attendais les petites vacances, sachant que je pourrais à ce moment-là retrouver un semblant de liberté… pourtant, je ne me sentais pas prisonnière, j’avais déjà effacé les barreaux de ma cage, l’oiseau s’envolait en rêve à défaut de pouvoir le faire pour de vrai.

(À suivre)

 

 

38 commentaires à propos de “Souvenir d’internat (5)”

  1. C’est vraiment touchant d’apprendre le lien qui t’unit à Don Quichotte.
    Merci pour ce beau partage, Quichottine.
    Bon dimanche à toi, à tous.

  2. Bonjour Quichottine. J’aime beaucoup ta façon de nous conter tes souvenirs. Je t’imagine, bien dans ce grand parc, rêvant à ta maman, sous de grands arbres. Pendant longtemps mon livre culte a été « Le roman de Renart », récit de ses aventures avec le loup Ysengrin. J’avais un exemplaire, sans doute pour enfants, perdu depuis… Bon dimanche et bisous

  3. Voilà plein de souvenirs qui remontent à la surface… J’ai aussi passé quelques années d’internat à Argentan dans l’Orne. Le mien était laïc et on ne portait pas d’uniforme. Mais une certaine discipline y régnait quand même. Merci pour ce partage Quichottine.
    Passe un bon dimanche.

  4. Je n’ai jamais été en internat mais en colonie de vacances, oui. C’était à peu près le même règlement. Pour les offices religieux nous y allions que si nos parents donnaient une autorisation écrite à la direction, A cette époque presque toutes nous y allions car les parents avaient rempli le fameux papier …

  5. J’aime tes souvenirs d’internat et cet article m’a vraiment beaucoup touchée. J’imagine comment tu devais être triste de voir les autres partir dans leur famille et toi rester. Bisous et bon dimanche.

  6. Bonjour Quichottine, ah même le dimanche… c’est dur tout de même… mais bon, c’était ainsi pour toi et d’autres… J’ai connu des camarades de classe en internat dans mon école, mais repartaient le vendredi soir… Fallait occuper ces « fameux » dimanches… merci pour le partage du jour, bises

  7. ooooh les racines de Quichottine !! c’est très émouvant. Je te remercie d’ouvrir ta terre pour nous !
    Beaucoup de souvenirs qui me parlent aussi sur l’internat…
    Le parc de l’EN, je n’ai jamais trouvé nulle part ailleurs autant de trèfles à 4 même 5 feuilles, qui me servent aujourd’hui encore de marque-pages…

  8. Dur tout de même, heureusement que tu avais ton jardin, plus ou moins secret et ce compagnon qui l’est encore…

  9. Salut,
    C’était pas folichon les dimanches à l’internat
    Le temps est beau mais il fait un peu frisquet.
    Bon dimanche

  10. Bonjour Quichottine
    J’aime te suivre ainsi dans tes souvenirs …bons ou pas bons ..mais une époque de transition dans ta vie de jeune fille qui finalement t’a permis d’avancer
    Bises et bon dimanche

  11. Touchant ma Quichottine et je comprends d’autant mieux cette fascination pour Don Quichotte de Miguel de Cervantes. Merci pour ces beaux souvenirs.
    Bises et bon dimanche

  12. Les dimanches et les vacances passé à l’internat m’ont laissé un gout amer. On s’y est sans aucun doute amusé bien sûr mais l’absence de maman était dur, tu as eu plus de chance d’en garder un bon souvenir. Bisouss

  13. Un livre est un excellent compagnon pour les rêveurs, je te suis complètement… Bon dimanche, bises…

  14. Je me souviens très bien de cette chanson , chantée par Berthe Sylva, ma mère la chantait souvent , par contre, je ne me souviens plus d’avoir lu Don Quichotte . Mes premiers livres de « grands » ont été Notre Dame de Paris  » et  » la case de l’oncle Tom « 

  15. Je comprends ton attachement à Don Quichotte et il faudra que je le lise car plus jeune, je ne m’en sentais pas proche, trouvant peut être un peu dure, cette histoire. D’ailleurs en quelle classe, l’apprenions nous ? je ne sais plus.
    J’aimais aussi l’internat le week end alors que ne restaient que quelques enfants (j’avais 9 ans) et les religieuses, plutôt maternelles. Dans la grotte réplique de celle de Lourdes, nous cachions des petits papiers à découvrir … que d’heures passées à ce jeu…
    Ton texte est doux, mélancolique, c’est comme la vie de quelqu’un d’autre… c’est si loin notre enfance. Bises

  16. Hidalgo Don Quichotte de la Manche faisait déjà partie de ta vie..
    Ce devait être dur de rester le dimanche à internat ..
    Merci pour ce partage Quichottine..Doux dimanche.

  17. Bonjour Quichottine
    je me rappelle encore de ce Don Quichotte vu en Espagne et que je t’avais envoyé , cela remonte à 2011, mais je m’en rappelle.
    Je ne suis jamais allée à l’internat , je ne peux donc en parler, mais j’imagine comme cela devais être difficile de savoir qu’on ne pouvait pas voir sa famille au moins une fois par semaine.
    Biz et bonne semaine

  18. Coucou, Amie ! Je viens de voir que 10 ans se sont écoulés depuis que tu nous as parlé de ton livre bleu ! Dans cette période que tu évoques, je découvrais Kessel et son Lion, Prévert et ses Paroles, petits Livres de Poche que j’avais recouverts de plastique et qui sont toujours, tels quels, dans ma bibliothèque. Fille unique, j’ai eu la chance de suivre mes parents dans bien des endroits, au détriment d’amitiés d’enfance et d’adolescence qui n’ont pu se nouer. Je ne le regrette pas ! Je t’embrasse.

  19. Triste et pas facile la vie en internat.
    ça remonte vraiment à ton enfance ton amour de Don Quichotte
    Bisous et bonne soirée

  20. Je découvre que ce lien avec Don Quichotte est ancien puisque datant de l’internat . Un compagnon qui ne t’a jamais quittée . Mais que cela devait être difficile quand même de voir partir les autres élèves . En tout cas le chant et la musique étaient là et ont joué un rôle important .
    Bonne soirée
    Bises

  21. Je te trouve bien courageuse, tu as su trouver de quoi oublier cet internat et même en profiter dans le chant, l’écriture et la lecture.
    Bise du soir
    Mireille du Sablon

  22. Les souvenirs, c’est ce qui fait le ciment de nos vie d’aujourd’hui, j’essaye de mettre les mauvais au placard et de caresser encore et encore les heureux.
    J’aime bien tes souvenirs…
    Bises et belle soirée

  23. Ah Les Roses blanches, la chanson préférée de ma maman et que mon papa chantait si bien!
    De Don Quijote à Quichottine, il n’y a qu’une aile de moulin à franchir!
    Moi aussi j’ai gardé un tendre souvenir pour un livre que j’ai toujours dans la bibliothèque verte , c’est Sans Famille d’Hector Malot et même à mon âge avancé je suis sûre que si je le relisais je pleurerais tout autant : Dolce, Zerbino, Joli-Coeur , Capi, Rémi, Vitalis sont restés comme ma famille!

  24. Encore un beau partage que je lis en ce jour spécial, n’allumant plus l’ordi après 10h du matin …
    Je n’ai jamais passé de dimanche à l’internat.
    Je rentrais tous les vendredis soirs, heureuse de retrouver la ferme et ma famille.
    Bon début de semaine avec des orages prévus cet aprèm’, enfin, pour nous seulement …
    La dernière de ce mois dont on se souviendra et qui restera dans les anales !
    Et même dans les livres d’histoire … avec le nombre de morts dans le monde à cause d’une saloperie de virus.
    Gros bisoux doux, ma quichottine ♥

  25. Les roses blanches ;ma mère adorait cette chanson qu’on entendait tous les ans à la radio pour la fête des mères ,et qui mettait la larme à l’oeil .
    Tu devais quand même trouver le temps un peu long, loin des tiens,le dimanche ,lorsque tes camarades étaient parties.
    La chorale religieuse t’a laissé de bons souvenirs. Effectivement Don Quichotte t’accompagne depuis longtemps.
    Les internes de nous jours, ne doivent même plus écrire de lettres ..J’aime bien la langue espagnole qui ressemble au corse; et puis j’entendais ma belle-mère le parler avec son accent chantant …
    Merci pour ce beau partage de ta jeunesse. Bisous

  26. Tu as donc « rencontré »Don Quichotte très tôt, merci pour cette page émouvante d’une partie de ta vie Quichottine.
    Je te souhaite une douce semaine et te fais de gros bisous

  27. Coucou ma douce Quichottine, c’est émouvant de te retrouver jeune fille mais comme je n’aurais pas aimé l’internat! En te lisant je me mets à fredonner « C’est aujourd’hui Dimanche, voici des roses blanches pour toi jolie maman » que je chantais pour Maman que j’ai si peu connue.
    Tu as du de bons moments avec le chant et la musique et surtout tu avais fait disparaître tous les barreaux de cet enfermement. A l’époque on écrivait beaucoup de lettres puisqu’il n’y avait pas autre chose et quel bonheur d’ouvrir une enveloppe! Ton parrain Don Quichotte t’a surement offert les plus beaux moments à l’internat.
    Ton livre bleu est très beau..
    Douce semaine, je t’embrasse
    chatou

  28. Avec le rêve, on peut alléger les contraintes, mais tu ne te sentais pas prisonnière alors, c’était cette liberté d’être presque seule alors que les compagnes étaient parties en famille, qui prenait le dessus.
    Bien sûr Don Quichotte te servait de compagnon.
    Douce fin de journée Quichottine ! Bises !

  29. Voilà d’où vient Quichottine.
    Rêver permet de s’évader. Et c’est ainsi à tout âge.
    Tu parles d’un parc. Il y en avait un également au collège où j’étais en pension. j’aimais beaucoup m’y promener. La nature déjà m’attirait et m’aidait.
    Merci pour tous tes partages Quichottine.
    je t’embrasse bien fort

  30. Les Roses Blanches … ma mémé, maman.
    J’ai lu un commentaire qui parlait de Sans Famille. Pour mon entrée en 6ème j’ai eu un chien, devine le nom que je lui ai donné : Capi bien entendu. (maman devait avoir très envie d’avoir un chien).
    Tu vois tu fais du bien aux autres en publiant tes souvenirs.
    Bisous Quichottine.

  31. Bonsoir Quichottine,
    oui l’internat, il faut l’avoir connu, le mien était laïque mais on devait porter un uniforme, jupe bleu marine, béret, .. quand j’y suis rentrée en 6ème. On ne pouvait sortir qu’un we sur 2 et j’avais eu l’autorisation de rester le we des « grandes » parce que je ne pouvais pas aller prendre le car toute seule. C’était amusant car je devais transporter ma literie dans leur dortoir… et j’étais un peu « coucounée ».
    Le souvenir du béret, c’était la promenade du dimanche après-midi quand on passait sur le pont avec un petit Mistral qui soufflait et que les bérets s’envolaient … J’ai moi aussi des souvenirs mais ils sont sur fond de tristesse, car j’ai eu l’impression d’être abandonnée. heureusement, j’étais assez scolaire et je me plongeais dans mon travail …On se forme, mais chez moi il y a des cicatrices que je n’arrive pas à effacer complètement…
    Bises du soir, je reviendrai

  32. J’ai lu les 4 chapitres et je mets mon com ici, car j’ai une connexion désastreuse qui coupe sans arrêt!!!
    Ton journal intime est émouvant car raconté simplement avec beaucoup de pudeur . Le rêve , la solitude , la lecture sont des moyens d’évasion , de protection qui empêchent la souffrance, la révolte de faire de trop grands dégâts.
    Je comprends , doublement , ton amour pour Don Quichotte ! Une complicité de toute ta vie.C’est merveilleux.
    Je te souhaite une douce journée, je t’embrasse.

  33. Je t’ai suivi dans ces années d’internat avec une réelle émotion. Merci de ce partage. C’est un magnifique cadeau que tu nous fait là. La voix silencieuse de ta maman nous guide avec la tienne.
    Je t’embrasse très affectueusement,
    Anne

  34. Je crois que j’aurai eu de la peine à m’habituer à l’internat, je n’ai connu que la cantine, une année seulement…Heureusement, tu savais sortir de ta cage en rêve et ton rêve te permettait d’être libre

  35. Je comprends pourquoi tu t’appelles Quichottine, tout s’éclaire. J’aimais aussi aller à la chorale le dimanche, et aux répétitions un soir par semaine. Mon grand père faisait déjà partie de cette chorale dans les années 30. Mon père également quand il a eu l’âge d’y aller. Ma grande soeur y allait également. J’adore écouter de l’orgue jouer. C’est un instrument magnifique.

  36. Tes souvenirs rejoignent un peu mon passé de pensionnaire et je suis très émue ente lisant…Moi, je m’ennuyais à la messe et m’évadais dans mes rêves pour oublier « le confinement » et les vacances si lointaines…

  37. Tu avais déjà trouvé le moyen de t’evader et tu es restée fidèle à ton Prince Charmant Don Quichotte.
    Il y a des moments dans nos vies où le rêve est essentiel presque vital.
    Le tien t’a apporté l’amour de la poésie où tu excelles.
    Merci Quichottine de ces beaux moments de ta vie que tu nous confis.
    Je t’embrasse.
    Maryse