Je n’avais pas encore pu répondre aux messages que vous m’aviez laissés sous l’avant-dernier billet de mon « Jardin secret »… Je viens de le faire.
(J’avais fermé les commentaires pour le dernier. Un choix que beaucoup ont compris.)
J’avoue que je me suis longtemps demandé si ce n’était pas une erreur, s’il était possible de parler de choses aussi intimes sur un blog.
Jusqu’à ce jour-là, j’avais réservé ces messages des jours « sans », des jours où tout déborde, à d’autres lieux que ma Bibliothèque ouverte à tous.
Je racontais sans aller au fond du problème, parce que je sais que je ne suis pas seule dans ce cas, que même s’il m’arrive de penser, très égoïstement, que personne n’est à même de comprendre, même si je sais qu’il m’est encore impossible d’expliquer sans colère, sans chagrin, le pourquoi, le comment, l’aujourd’hui et l’hier, sans penser à ce « demain » qui sera forcément pire, parce que c’est comme ça, parce qu’on ne guérit pas de ces maux-là, la seule chose que nous puissions faire c’est d’accepter que cela soit et de faire en sorte que la vie d’Emmanuelle soit la meilleure possible, au moins en ce qui concerne son confort… à défaut de pouvoir lui assurer une vie à laquelle en tant qu’être humain elle devrait avoir droit.
Alors, forcément… quand on raconte ainsi, quand on fait part de son chagrin sans plus de précision, quand on ne dit rien ou seulement un ressenti dont nous avons tous l’expérience un jour ou l’autre, il ne faut pas s’étonner des mots qui tombent « à côté »…
Merci à vous, il n’y en a pas eu trop et vous avez fait preuve de compassion, de beaucoup de compréhension, d’une grande amitié… vous avez lu, et c’était important pour moi, même si je reconnais que je n’aurais sans doute pas dû vous entraîner dans ce chemin que nous parcourons chaque jour en famille depuis bientôt trente-quatre ans.
Ces jours derniers, des médecins ont pris la décision de « débrancher » un bébé né à quatre mois de gestation… d’accompagner les parents dans leur deuil et de ne pas leur imposer un enfant qui aurait été lourdement handicapé… Une décision pas facile à prendre, une décision controversée.
Tout à l’heure, chez Flipperine, j’ai lu un article où elle parlait de sa foi en Dieu et de sa façon de la vivre.
J’ai aimé ce qu’elle écrivait.
Mais forcément, comme à chaque fois que je suis confrontée à mes propres interrogations, à des circonstances semblables à celles qui nous ont conduits là où nous en sommes aujourd’hui, j’ai réagi. C’est physique et imparable, incontrôlable.
Une amie m’a dit que je n’avais pas encore accouché d’Emmanuelle… c’est vrai en partie. Il y a plus de trente ans que j’écris le même livre, celui qui me libèrera de ma colère.
J’en veux à ceux qui disent encore que la toxoplasmose, ce n’est pas si grave, que l’on peut soigner in-utero ceux qui en sont atteints. Que les handicaps encourus -lorsqu’il y en a- peuvent être surmontés.
Après tout, on peut mener une vie presque normale en étant aveugle ou sourd… et rien n’est certain.
C’est vrai… et j’aurais aimé qu’Emmanuelle ne soit qu’aveugle ou sourde… Elle aurait pu vivre presque normalement, elle aurait pu me combler de bonheur malgré les soucis que nous aurions de toute façon affrontés.
(Les statistiques prennent le pas sur l’humain, sur les souhaits exprimés par les parents, sur ces décisions qu’ils ne devraient pas avoir à prendre…)
Ils ne parlent pas du reste, des 0,04 % des cas les plus graves. Parce que cela ne compte pas. Qu’on n’a pas le droit… que les médecins sont là pour faire vivre, pas pour tuer ou laisser mourir.
Lorsqu’on additionne l’hydrocéphalie galopante, la cécité, les crises d’épilepsie, l’hémiplégie, la paraplégie consécutive à toutes les atteintes cérébrales… ce tiers de cerveau qui reste et qui régit les fonctions primaires de la vie… que reste-il de l’humain ?
Alors, oui, j’en veux, terriblement, à ce médecin du service de néonatalogie qui a ranimé Emmanuelle alors qu’elle venait de subir un arrêt cardiaque à la suite de tous les examens qu’ils avaient pratiqués sur elle…
Elle avait trois jours… juste trois jours de vie « normale » dans une couveuse.
Trois jours pendant lesquels elle avait eu radios, scanners, prises de sang, ponctions lombaires… examens dont nous n’avions eu les résultats que quelques années plus tard, une fois que le mal était fait, examens dont le but était de voir les dégâts causés par le toxoplasme dans son système nerveux.
Mais nous avions une jolie petite fille, qui serait tout à fait « normale », qui « pourrait même un jour entrer à Polytechnique si elle le désirait ».
(Je plaisante, là, c’est ce qu’ils disaient pour nous rassurer…)
J’en veux à tous ceux qui nous ont menti, qui nous mentent encore en assurant que tout va bien.
Je sais, oui, tout va bien… tout va le mieux possible dans un monde qui n’est pas le mien, le nôtre, dans un monde que je ne comprends pas mais que j’admire… parce qu’il faut de l’abnégation, du courage, pour accompagner ces enfants, ces bébés de neuf mois qui continueront à avoir neuf mois toute leur vie, même lorsque leur carte d’identité leur donnera l’âge de la retraite…
Nous leur avons confié notre enfant, nous les secondons le mieux que nous pouvons, nous continuons à être présents pour elle, parce que c’est notre enfant, même si elle est devenue un « résident » de leur structure, à leurs yeux, et que je ne suis plus rien que sa mère, celle qui l’a portée pendant huit mois en priant Dieu chaque jour pour qu’elle soit juste un peu « comme les autres »…
Elle s’appelle Emmanuelle… « Dieu est avec nous« …
Existe-t-il vraiment, ce Dieu qui accepte qu’une mère n’espère plus que de voir son enfant disparaître avant elle ?
Je ne sais pas.
Mais j’ai prié pour elle, à Venise, à Padoue, à Florence, à Sienne, à Rome et même jusque dans la basilique Saint Pierre au Vatican. J’ai transformé sans rien en dire ce voyage d’amoureux en pèlerinage, dans chaque église visitée, dans chaque lieu où la lumière me disait qu’Il était peut-être là un peu plus que chez nous… J’ai prié, autant que je le pouvais, pour qu’elle ne souffre plus.
Ne m’en veuillez pas, ce billet sera aussi sans commentaires, mais promis, demain, je vous emmène en voyage, là où le chagrin n’existe plus.
…