Valentin de Boulogne (1591-1632)

Dans la taverne, ce soir-là, tous étaient à la fête.

 

Le vin coulait à flots et même Maître Pierre, d’ordinaire si taciturne, souriait à ses hôtes. Il avait apporté un beau jambon en croûte pour ceux que la faim tenaillait.

 

Louis, téméraire, essayait de donner le tempo. Mais la viole se rebellait sous les coups maladroits de l’archet. Où donc était l’habituel violoneux ? Elle ne reconnaissait ni les doigts ni le rythme.

 

Elle faillit appeler à l’aide… mais qui écouterait son sanglot dans la nuit ?

 

Gersande, rêveuse, mains sur les cordes de sa guitare, attendait le signal… ou du moins le clin d’œil qui marquerait son entrée. Elle ne disait rien, laissant parler ses yeux.

 

Maël, le voyageur, s’était joint à eux par hasard. Il avait découvert le tout petit orchestre improvisé et s’était installé à leur table, après les présentations d’usage. D’où était-il ? Où allait-il ?

 

Peu importait, en fait.

 

Maël savait lire.

 

Il avait subjugué la jeune fille en lisant quelques vers d’un auteur inconnu…La langue était étrange. Dépourvue de sens pour ceux qui écoutaient. Il restait la musique, l’alternance de mots et de silences.

 

Guillaume se moquait bien de poésie et de musique. Il se cantonnait à son rôle de soudard au grand cœur.

Son courage et sa prestance lui assuraient toujours un bon accueil, où qu’il aille.

 

 

1622-25_Le_Valentin_-Concert-au-bas-relief.jpg

 

 

Restait Jehan, dans l’ombre.

 

Il aimait s’y réfugier, attendre et observer.

 

Derrière lui, le plus jeune fils du tavernier buvait les dernières gouttes d’un pichet. Il avait déjà répété plusieurs fois ce manège. Ce soir, il tomberait d’un coup sur sa paillasse et dormirait sans doute jusqu’au petit matin.

 

Et devant lui ?

 

En pleine lumière, ce sacripant de Clément.

 

 

1622-25_Le_Valentin_-Concert-au-bas-relief_detail.jpg

 

 

Un enfant à la voix d’ange. Un orphelin que la troupe protégeait depuis qu’ils l’avaient trouvé grelottant, à l’orée d’une forêt trop sombre. Ils avaient vite découvert le parti qu’ils pouvaient en tirer. L’enfant ne se faisait jamais prier, il chantait depuis son plus jeune âge.

 

Il chantait comme si sa vie en dépendait, mais sa voix si légère s’envolait vers la voûte des églises, par les fenêtres des châteaux. Il chantait, et, ce faisant, retrouvait ses souvenirs, sa liberté.

 

Les mélodies se suivaient, sans que l’on pût discerner celle qu’il préférait, jusqu’au moment, toujours le même, où sa voix restait suspendue à un fil qui soudain se brisait en en éclat de rire inattendu.

 

C’est alors que Jehan posait la main sur son épaule et d’une pression amicale lui intimait l’ordre d’arrêter.

 

Le regard de l’enfant se teintait de tristesse.

 

Qui saurait ce qu’il ressentait ?

 

Qui saurait ?

 

 

 

Photos personnelles prises en août 2010.

 

Le tableau original est visible en plus grand sur le site du Musée du Louvre (cliquer sur l’image là-bas pour l’agrandir).

 

Valentin de BOULOGNE, dit LE VALENTIN
Coulommiers (Seine-et-Marne), 1591 – Rome, 1632

Le Concert au bas-relief
Vers 1622 – 1625
(H. : 1,73 m. ; L. : 2,14 m.)

88 commentaires à propos de “Valentin de Boulogne (1591-1632)”

  1. Comme elle est jolie ton histoire ! Comme tu nous la narres bien, pour ma part,  j’aurais regardé le tableau, le charme de ce petit garçon et puis, c’est tout sans doute,  là, on a un vrai scénario, quelle enchanteresse tu fais !

    Bises Quichottine

    • Merci, Marine.

      Il y a des images qui me parlent davantage que d’autres. J’ai beaucoup aimé ce tableau quand je l’ai vu au Louvre.

      Bises à toi.

  2. Jolie façon de laisser partir son imagination en regardant un tableau …

    Bon mercredi ! Bisoux.
       
    dom

  3. pfffff j’imagine la tristesse de l’enfant

    Tu vois je l’entendais chanter à travers tes mots

    Belle journée toujours et encore pluvieuse ici

    Bisous

    • Merci, Corinne.

       

      Le temps était à la pluie ici aussi. Mais j’espère que tu auras passé une bonne journée quand même.

      Bisous.

  4. Un voyage en terre connue de l’imagination où le passé est présent pour que le demain soit plus joli. J’ai beaucoup aimé, merci.

  5. Je l’ai  entendu chanter en te lisant ..et j’ai ressenti la tristesse de son regard…comme les tableaux deviennent vivants en te lisant !

  6. Il est beau ce tableau et tu sais si bien le mettre en valeur à l’aide de quelques mots

    Amitiés, Flo

  7. Je pense qu’à l’époque de ce récit, ce devait-être ainsi dans les tavernes.

    J’aimais aussi, lors de mes déplacements, rester sans bouger et écouter ce qui se disait ou les comportements. mais toujours lorsque j’étais seul. Les gens, bien souvent, ne savent pas qu’ils sont ainsi observés et que leur comportement témoigne ce qu’ils ressentent et ce qu’ils sont.

     

     

    Belle journée chez toi, avec bises !

    • Lorsque tu écris tes souvenirs, c’est ainsi que je t’imagine.

      J’étais sûre que tu observais autour de toi…

      Merci pour ce partage, Patriarch.

      Belle journée et bises à vous deux.

  8. Une vision sombre de cette scène..

    .La femme et l’enfant sont loin, dans leurs rêves, lesquels.?..L’enfant se laisse bercer par la musique et la femme joue tout en délicatesse, ds la lumière…..VITA

    • C’est aussi ce que j’aurais aimé croire… Mais le tableau m’a raconté une autre histoire.

      La femme regarde l’homme qui est sur la droite du tableau. L’enfant a le regard triste. Mais il est possible que je ne fasse que projeter d’autres pensées, des souvenirs, sur cette immense toile.

      Merci pour ta vision à toi, elle est bien plus jolie et délicate. J’aime.

  9. Superbement bien narré. Si un jour, je vois ce tableau, immanquablement, je penserais à tes mots.

    Biz

  10. superbement conté. je ressens la beauté du chant, l’allégresse de l’enfant retrouvant ses souvenirs et sa tristesse enfin.

    excellente journée

  11. Quichottine, j’aime énormément ton interprétation du tableau…

    C’est un conte… et comme le mien (…) il y a « ketchose » derrière ce regard…

    GROS BISOUS.

    • Merci, Marité. Ce commentaire m’a beaucoup touchée.

      Je suis contente que tu aies toi aussi vu « ketchose » derrière ce regard.

      Gros bisous.

  12. J’aime ça quand tu racontes des histoires, tu donnes de la vie aux tableaux. Par chance la panne n’a pas été trop longue.

  13. Revoilà Clément  et la troupe!Tu vois de belles choses dans ce tableau et tu arrives à nous conter une histoire qui nous envoûte; j’ai envie de dire: » et ensuite ? »  pour que cela dure encore .

    Bises  et bonne soirée

     

     

    • Sourire… je savais bien que quelqu’un se souviendrait ! Que ce soit toi me fait grand plaisir !

      La suite ? Un jour, bientôt, mais dans un vrai livre.

      Bises et bonne journée, Fanfan.

  14. Bonjour Quichottine,

    « Le concert au bas-relief antique », ce titre complet explique la présence dans l’angle droit du mythologique Pélée. Ce rappel de l’antiquité était le propre de l’époque du Caravage. Les visages sortent de leur clair-obscur pour se dévoiler fidèlement par votre intermédiaire. Un superbe tableau: Louis XV avait eu bon goût en l’acquérant ! Et vous en le choisissant pour nous en faire profiter avec votre texte qui colle à l’image.

    • Merci pour ces précisions, Georges.

      Je trouve aussi que c’était une belle acquisition. J’ai beaucoup aimé voir ce tableau.

  15. Quand j’ai vu ce tableau, j’avais senti la tristesse de cet enfant, mais là, tu la raconte fort bien. Merci.. Bises

  16. Une histoire comme je les aime …
    Merci!
    Bonne soirée de mercredi

    Un bisou amical
    Viviane

  17. Bonsoir Quichottine,

    Quelle belle imagination. Tu contes à merveille. Si un jour l’envie,  l’inspiration, te vient sur un de mes tableaux, ce serait un vrai bonheur. Merci pour ce doux moment à te lire. J’ai adoré

    Bises de bonne soirée

    Martine

    • Bonsoir, Martine.

      C’est une très gentille attention. Ayant parcouru ton blog et ta galerie d’images, je sais que tu écris aussi bien que tu peins. Pourtant, je note ton adresse. On ne sait jamais. Les images ne lèvent pas le doigt avant de me parler.

      Bises et bonne semaine. Merci.

  18. Il se lit sur ces visages une sorte de tragédie et dans tes mots celle-ci est à peine voilée

    bonne soirée

    clem

  19. j’aime beaucoup ta description de cette soirée à la taverne et les personnages que tu nous présente, les prénoms me plaisent : surtout Jehan !!  Merci Quichottine ta plume peut nous emporter partout quelle malicieuse  bizzzoux 

    • Jehan est le mentor de Clément dans une ancienne histoire que j’ai publiée en partie ici.

      Je suis contente de voir que tu me suis… c’est vraiment gentil.

      Bisous, Tricôtine.

  20. Certains écrivent des scénarios pour des films, et Quichottine elle, invente un genre nouveau, des scénarios de tableaux. Bravo pour cette belle histoire. Bonne soirée.

    • Scénariste pour peintres en mal d’inspiration… tu crois que ça m’irait aussi, comme emploi, lorsque je me recyclerai ?

      Merci infiniment pour tes mots, Bernard. Bonne journée à toi.

  21. Faire parler les tableaux, c’est un bel exercice que j’aime, et tu le fais à merveille. Cette troupe fera-t-elle les grands soirs de la tour de Dame Quichottine ?

    N.B. : penser à accorder la viole !

    • Clément et Jehan ont déjà une place dans les histoires que racontait Quichottine autrefois.

      … je ne manquerai pas de l’accorder. Merci pour ce rappel, Adamante.

  22. Je ne sais pas si tu prêtes des pensées et des mots aux personnages, mais je sais que tu es leur interprète … Je crois que tu les aides à exprimer ce qui est en eux, sans les trahir, comme une présence à leur côté. En fait, tu serais dissimulée dans ce tableau que ça ne m’étonnerait pas !

     

    Alors, dis-moi où se trouve Maître Pierre … Parce que je ne l’ai pas découvert … Se cacherait-il avec toi ?

     

    Gros bisous, Quichottine. J’apprécie vraiment beaucoup le scénario sur cette mise en scène de Valentin de Boulogne.

    • Oups ! Me voilà dévoilée… j’étais cachée, c’est vrai, derrière un pilier.

       

      Maître Pierre ? On ne le voit pas. C’est lui qui reçois. Je pense qu’il est parti en cuisine chercher quelque chapons pour ses invités.

  23. Quel beau récit autour de ce tableau ! Tu as donné vie à ces personnages que je trouve un peu austères sur la toile. Bisous 

    • L’enfant m’a attirée tout de suite… je l’ai seulement écouté. Je suis contente que ça te plaise. Merci pour tes mots.

      Bisous, Ecureuil bleu. Passe une bonne soirée.

  24. Tu as ce talent rare de nous transporter dans ce tableau…Comme je t’admire ma douce amie rêveuse.

    bisous de bel après-midi.

    • Ne m’admire pas trop, tu me ferais rougir…

      Mais grand merci pour tes mots. Je suis contente que ce tableau t’ait plu.

      Bisous de belle fin d’un autre après-midi pour toi, ma douce amie.

  25. L’enfant semble songeur, je ne le trouvais pas triste mais j’aime ton histoire…. Et je l’imagine bien maintenant en le voyant de nouveau. Bises

  26. ce tableau est superbe et laisse l’histoire se conter d’elle meme dans le regard de cet enfant;merci Quchottine pour ce moment égaré dans un autre temps,et qui nous touche!

  27. Merci ma mie pour la belle histoire contée à la taverne… l’image est superbement imaginée et magnifiquement présentée sous la forme de recueil « foutrement moyennageux » comme disait le grand Brassens…. belle plume !!!

    (chut….. la viole n’a pas d’archet…. mais personne ne le saura…(lol)…)

    Très belle et douce soirée, bisous

    Jacqueline

    • Je suis contente que cette histoire t’ait plu.

       

      (…Je ne dirai rien, mais s’ils cherchent la viole en histoire de la musique, ils trouveront bien ce pardessus de viole à archet )

       

      Merci pour ce second blog plein de gourmandises, Jacqueline.

      Belle soirée et bisous pour toi aussi.

  28. bonjour quichottine, heureux de voir que tu as récupré ta ligne, et publie encore un joli texte

    bonne journée

  29. Peut-être était-il tard dans cette auberge enfumée et l’enfant avait simplement envie de dormir.
    Ce matin sur mon blog, un petit lien avec le tien.

  30. Tu nous ouvres les portes de notre imagination … on peut se laisser emporter là où on veut

    Bon mercredi à toi

    • … et j’aime quand vous le faites.

      J’espère que tu auras passé une bonne journée aussi. Merci, Kri.

  31. Comme c’est beau ma Quichottine. Bises et bonne journée

  32. C’est une bien jolie histoire Quichottine et que j’ai lu avec plaisir.

    Gros bisous pour toi

    • J’en suis contente… J’ai aussi lu ton conte avec plaisir ce soir… j’ai pris du retard chez toi. J’en suis navrée.

       

      Gros bisous, Nettoue.

  33. mais tu devais être cachée dans ce tableau pour narrer cette histoire avec autant de talent !!!

    Bises Quichottine

    Trinity

    • Les tableaux me parlent parfois. J’aime les écouter.

      Merci pour ton compliment, Trinity. Il me touche.

  34. bon : si y’a du pain frais, du beurre salé et du jambon en croûte…j’arrive…

  35. Clément …. qui chnte encore pour nous…On le croait parti? on l’avait oublié? il se rappelle à nous de sa voix d’ange…. Merci!

  36. Il est bien évident que c’est l’enfant qui est le point vers lequel notre regard se dirige. Ah! si j’avais ton imagination… (soupirs…)

    Passe une bonne soirée.

    • Ah si j’avais le don que tu as pour capturer la lumière !

      Bonne fin de journée à toi aussi, Marie.

  37. il me fait penser aux chanteurs polyphoniques du Sud qui paraît-il ont dès leur plus jeune âge un voix très forte et qui savent sans avoir jamais appris prendre une voix qui va s’hamoniser avec les autres mais qu’il faut freinerun peu pour qu’ils ne l’endommagent pas

    J’aime baucoup ton histoire et les bleus du tableau qui chantent si bien avec ce rouge vermillon

    bises

    • Merci pour tes mots, Azalaïs.

      Je suis toujours très étonnée et admirative en les écoutant.

      Bises à toi.

  38. lire tes mots en regardant les peintures forment une superbe harmonie

    je te souhaite une très belle semaine

  39. Bonsoir Quichottine

     

    Les premières lignes lancent le récit comme une nouvelle. comme le début d’un roman. Ce n’est qu’au bout du premier paragraphe que je l’ai relié au tableau, qui alors a pris vie devant moi. 

    Puis je suis allé me promener dans les toiles de cet artiste, aux airs de Caravage français.  Son jugement de Salomon est l’un des seuls tableaux parmi les très nombreux qui traitent du sujet où le nourisson est représenté debout et non tenu la tête en bas.   Et en regardant sa toile « les Quatre âges de l’homme » je me suis demandé s’il n’avait pas des modèles dans son entourage. L’enfant et le joueur de viole se retrouvent dans les deux toiles, presque avec les mêmes attitudes. 

    J’ai également fait un tour chez toi, suivant les aventures de Don Quichotte , de 2007 à 2010, sans laisser de trace, pas plus chez le laboureur que pendant l’autodafé.   Tu sais que j’ai réduit le temps consacré au blog dans son ensemble.  Je viendrai certes te lire, mais vraisemblablement sans y rester aussi longtemps, du moins tant que les autres rédacteurs de blog 50 sont en activité.

    Bon week end.

     

    Le grillon

    • Ce que j’ai dit chez toi était sincère, Christian.

      Même si j’adore que tu viennes me rendre visite, et que tes mots me font toujours plaisir, je sais qu’il me faut m’effacer devant tes amis de blog50 qui ont la priorité, et c’est tout à fait normal, et tout à ton honneur.

       

      Je sais que je suis très irrégulière dans mes visites, mais je continuerai à me rendre chez toi quand je le peux, comme je l’ai fait jusqu’à présent. Ne te sens surtout pas lié par une quelconque obligation à mon égard. J’en serais désolée.

       

      Le temps n’est pas extensible, pour aucun d’entre nous. Alors, surtout, profite bien de ta famille et de tes proches, et continue à partager ce que tu peux sur ton blog.

      Passe une belle soirée. Merci pour le temps passé ici et tes remarques qui sont toutes très judicieuses.

       

      Bon week end à toi aussi.