Cela s’appelait : « Quand il faut y aller… » et c’était le premier « vrai texte » du « tiroir au secret », dans la bibliothèque. J’étais allée le chercher un peu loin, dans mes archives. Ce texte-là est bien plus ancien, mais je l’ai rendu public ce jour-là.
Je crevais de peur… Peur de montrer à tous ce que j’écrivais, ces textes qui étaient les miens, ceux qui ne devaient rien à personne. C’était ma première fois.
…
En le mettant ici aujourd’hui, je pense à tous ceux qui m’attendent, qui passent en se disant que je ne suis plus là, qui me cherchent aussi, et qui parfois me trouvent.
Comment décider, uniquement parce qu’un jour tout paraît un peu vain, que l’on ne peut plus écrire ?
Je ne sais. Je crois que j’ai encore beaucoup à dire.
Je ne t’écrirai plus…
Une phrase sur la dernière page. Quelques mots anodins qui pourraient résonner comme une menace, ou un regret.
J’essaie d’imaginer une explication.
Je suis comme ça, moi. Je cherche toujours la petite bête, celle qui pourrait me sauter à la figure si je voulais l’éviter. Il faut que je la trouve avant qu’elle ne le fasse. C’est à peine un jeu, plutôt une habitude. Je suis conditionnée par des années de pratique.
Comment peut-on décider soudain de ne plus écrire ?
D’ailleurs, ce n’est pas ce que ces mots disent. Il n’y a pas « Je n’écrirai plus » ce serait trop simple.
L’auteur devait s’adresser à quelqu’un. Il y a une deuxième personne, un « tu » un peu indiscret.
Qui est-ce ?
Un copain ? Un camarade ? Un ami ?
Et me voilà riant devant ces termes qui pourraient suggérer une graduation, une ascension vers l’amitié. Je ris, parce qu’il n’en est rien.
Il n’y a pas de degré dans l’amitié. Elle est ou elle n’est pas.
Alors ?
Comment interpréter cette succession de mots qui me viennent à l’esprit ?
J’ai seulement changé le décor qui entourait mes esquisses de personnages.
Le premier : une cour de récréation, au lycée. Deux ombres asexuées, Jeans et baskets, T-shirts qui dégueulent, aux couleurs un peu défraîchies. La lessive Machin-Chouette n’a pas été utilisée ici. Un ballon entre eux deux, qui passe de l’une à l’autre. Mais, est-ce vraiment un ballon ? Je n’en sais rien, ce pourrait être une canette, trouvée là, sur le sol. Un objet pour détourner l’attention des spectateurs. Le bruit de la boîte qui roule, qui se heurte à un pavé mal disposé, les fait sursauter. Les autres ne verront pas le geste rapide qui efface une larme. Larme de rage.
Dix ans plus tôt,
c’est un « J’te cause plus ! » qui aurait retenti
dans la cour de la maternelle.
Le second décor est planté : un atelier. Bleus de travail, machines qui assurent la basse continue dans notre partition du jour. Ce pourraient être les rotatives d’une antique imprimerie. N’importe quoi, du moment que le bruit soit régulier, obsédant, comme les percussions du Boléro de Ravel. Ce sont deux camarades. Ils ont usés ensemble leurs fonds de culotte sur les bancs de la communale. Depuis peu, ils ont la carte du Parti. À la fête de l’Huma, ils entonnaient ensemble l’Internationale. Et là… Un rouage qui grince, l’huile qu’on n’a pas voulu trouver. Ils sont adultes maintenant. Ils ont chacun trouvé leur voie… voix ?
Vingt ans plus tôt,
le « J’te cause plus ! »
n’aurait duré que le temps d’une larme.
Un troisième décor s’impose. Il efface les deux autres à coups de grands sentiments. Un savant clair-obscur, deux personnes qui devisaient devant une baie vitrée. Dehors, un ciel de tourmente, des éclairs qui illuminent de temps à autre la pluie qui bat sur les carreaux. Nappe damassée sur la table, quelques fleurs, et un photophore où survit la flamme tremblante d’une bougie. La table est desservie. Ils sont vêtus de noir. Gros plan sur les mains. Il suffirait de presque rien pour qu’elles se joignent.
Mais non.
Il y a le « Je ne t’écrirai plus »… un peu définitif, péremptoire, rageur pour l’un.
L’autre y répond par un sourire un peu moqueur, un « Nous verrons bien ! » qui reste en suspens, palpable pourtant.
Là, des mots tus.
« Je ne t’écrirai plus. » …
Des mots sur la dernière page,
un message conservé pour mémoire,
à la fin d’un petit carnet.
ps…je viens de relire mon commentaire du moment… que je ne renie point…. Tout dans ces points là… si souvent…
Sourire… Je sais que tu étais là-bas aussi.
Merci, Mahina. Certaines choses ne changent pas.
Je t’embrasse
Coucou, Amielle. Je viens de combler mon retard de lecture. Ce « je ne t’écrirais plus… » est comme un point d’orgue aux billets précédents car tu livres un « secret » d’enfance encore vif, gravé dans ta mémoire. Je le devine; tu l’habilles au gré des expériences, des aléas de la vie, du temps présent, du mode virtuel… Tes mots touchent l’intime du lecteur, ils m’interpellent dans ma propre histoire… N’aie plus du tout peur d’écrire… comme une grande. Tu restes toi-même et plus têtue qu’un lutin breton ! 😉 Tu le vaux bien ! Gros bisous, tout plein.
Sourire…
Le rappel de ce billet était comme la suite obligée d’une réflexion que je me faisais précédemment.
C’est vrai que ce pourrait être beaucoup plus.
Suis-je têtue, ma Dame de l’Océan ? Sans doute un peu. Et, parce que je le sais, j’hésite. Ai-je raison de continuer ?
Je voudrais être sûre de savoir rester moi.
Gros bisous tout plein.
oh j’ai finalement compris que tu es Nemo!!! je préfère Quichottine !! j’ai cliqué par hazard ça marche dis moi si tu le reçois?
bises
Je n’étais « Nemo » que dans le refuge… 🙂
Merci d’en avoir trouvé le chemin.
Dans mon nouveau chez moi, j’ai tout rapatrié, et j’y suis Quichottine, évidemment. 🙂
Passe une douce journée, Gaby.
et après? nul ne sait… les mots se sont-ils vraiment tus? le sourire légèrement moqueur a-t-il fait place à l’inquiétude puis à l’oubli? Tout reste dans la mémoire de chacun avec ses failles, ses regrets, ses espoirs… solitude du souvenir…
Après, seuls les protagonistes peuvent savoir comment l’histoire s’est achevée ou si elle perdure malgré tout.
Là, nous n’avons que quelques tableaux. Des images, c’est vrai, des souvenirs.
Merci, Mahina
ce petit carnet il est noir? cce petit carnet n’a peut-être plus de pages pour dire tout ce qui est encore à écrire même si ce n’est pas à « tu »… les compagnons et compagnes de vie passent leur chemin,on ne les revoit plus, sauf qu’en nous ils demeurent, ton « j’t’cause plus » de la récré rappellent à tous celui ou celle qui reste dans un coin de la mémoire. c’est parfois pour lui qu’on écrit, mais c’est souvent pour tous et pour soi-même. je t’embrasse.
Bien sûr, il ne peut qu’être noir.
Un petit carnet comme celui que m’a offert une amie après avoir lu cette histoire.
Elle m’a dit « écris »… elle m’a dit « tu pourras toujours l’avoir près de toi »… et je l’ai encore, là, plein de tout ce vide que je n’ai pas empli.
… Pourtant, je t’assure que les pages ne sont pas blanches !
Je t’embrasse fort, Polly. Merci d’être là.
J’aimais bien le titre de cette catégorie et je n’ai pas pu m’empêcher de cliquer sur Le Refuge… et j’aime bien ce dernier tiroir caché, avec une belle image sur la paroi arrière. Et puis, je suis tombée sur ton texte. Je ne m’attendais pas vraiment à ça là maintenant. Et puis oui, j’ai lu. Une lettre ouverte, des évocations de souvenirs et beaucoup de doutes, peut-être souvent moteurs à débuter une missive. C’est une belle lettre
Le Refuge était un blog « très secret » dont j’hésite encore à publier les articles ici.
Mais oui, il y aura d’autres pages… tout bientôt.
Merci d’avoir remonté le temps, Zarbifalafolle.
Je suis contente de te retrouver.
Passe une douce journée.
Un coin si secret que je ne le connaissais pas … À moins que, le » temps » n’ayant altéré mes facultés, je ne m’en souvienne pas … Mais c’est une chose qui me surprend, car c’est un refuge que je n’aurais pas oublié, par son intimité et parce qu’il est unique.
Je t’embrasse, chère Quichottine.
Bonne soirée.