Nous avons laissé don Quichotte et Sancho en plan sur le champ de bataille. Souvenez-vous, nous en étions au début du chapitre 8 de la première partie du roman.
Je suis tombée dans le panneau, j’ai fait comme tout le monde et j’ai laissé le roman au moment où le chevalier tout frais émoulu (enfin, plus très frais et fort moulu) a brisé sa lance contre les ailes des moulins de La Manche.
Mais l’histoire est loin d’être achevée… Vous ne savez pas ? La première partie a cinquante-deux chapitres, pas un de moins, dans ma version française (elle en a autant dans ma version espagnole… pour une fois, tout le monde est d’accord !).
Les chapitres du roman prennent l’intrigue à la légère. Certains la traînent en longueur, d’autres accumulent les péripéties ce qui fait que le pauvre lecteur n’a d’autre choix que de se laisser conduire.
On croit l’aventure terminée ? Mais non… Telle une autre Shéhérazade, Cervantès s’arrange pour couper l’aventure en son milieu et nous obliger à lire un second chapitre alors que nous voudrions faire la pause.
Voilà ce qui se passe au chapitre 8, d’après son titre :
Du beau succès que le valeureux don Quichotte eut en l’épouvantable et jamais imaginée aventure des moulins à vent, avec d’autres événements dignes d’heureuse ressouvenance.
Cervantès a attiré son lecteur dans un guet-apens… Nous ne pouvons pas imaginer une seconde qu’un « succès » soit une « défaite »…Si ? Pourtant, au XVIIe siècle, si nous en croyons le Littré, un succès pouvait être malheureux puisqu’il n’était que le résultat d’une action. Aujourd’hui, notre Petit Larousse illustré n’accepte plus que d’heureux succès, des victoires.
D’ailleurs, c’est simple. Dans la plus moderne des versions du roman, celle d’Aline Schulman, le mot « succès » est remplacé par « victoire ». Elle écrit :
De la grande victoire que le vaillant don Quichotte remporta dans l’épouvantable et incroyable aventure des moulins à vent, avec d’autres événements dignes de mémoire.
traduction d’Aline Schulman,
Paris,Éditions du Seuil, collection « Points », 1997, p.101]
Nous avons vu que c’était loin d’être une victoire !
Cervantès nous a roulés ! mais oui… Mais il ne nous a pas trompés en ce qui concerne les « autres événements« .
Don Quichotte et Sancho quittent les lieux de cette bataille inimaginable. Ils se dirigent vers Port-Lapice.
(Vous pouvez suivre le lien, même si le site, officiel, de la ville est en Castillan, les images n’ont pas de langue si elles ont un langage. Une des particularités du roman, c’est de placer les personnages dans des endroits tellement réels que les lecteurs avertis se sont amusés à retracer le chemin parcouru par ses héros. Je vous en reparlerai.)
Pour l’heure, il est temps de parler de ces événements mémorables qui surviennent dans la suite de ce huitième chapitre.
Don Quichotte écoute son écuyer se plaindre et le laisse manger à sa guise parce que lui n’a pas faim… C’est ainsi. Sancho fait comme les Huns, il mange sur sa monture parce qu’il n’est pas du tout question de s’arrêter un moment !
(Nous nous trouvons dans ce chapitre devant un héros immatériel qui n’a besoin ni de manger ni de dormir.)
Il rêve à Dulcinée.
Il ne déjeune pas non plus avant de reprendre la route.
Ils arrivent en vue de Port-Lapice « vers les trois heures« .
C’est alors que Don Quichotte va rencontrer, combattre et défaire deux religieux (des moines bénédictins) qui s’enfuiront sans demander leur reste.
(Les gens qui accompagnaient une dame voyageant en son coche et que le brave chevalier a pris pour une princesse enlevée par des méchants vont rouer Sancho de coups pendant que son maître est en grande discussion avec elle.)
Don Quichotte veut forcer la dame à se rendre au Toboso pour rendre compte à Dulcinée de son exploit…
La forcer à se détourner de son chemin ? Qu’à cela ne tienne ! L’un de ses écuyers, un Biscaïen, le défie alors en combat singulier, sous le regard épouvanté de la dame. Le combat commence…
Imaginez Victor Hugo racontant le combat de Roland et d’Olivier. Imaginez… et laissez-vous porter par le texte !
[…] jetant sa lance par terre, il tira son épée, embrassa son écu, et assaillit le Biscaïen avec résolution de lui ôter la vie. Le Biscaïen, qui le vit ainsi venir, eût bien voulu descendre de sa mule, à laquelle, pour ce qu’elle était de ces méchantes de louage, il ne se fallait pas fier, et il ne put faire autre chose, sinon tirer son épée. Fort à propos pour lui il se trouvait près du coche, d’où il put prendre un oreiller qui lui servit d’écu. Et tous deux se précipitèrent l’un contre l’autre, comme si c’eussent été deux mortels ennemis.
Bien sûr chacun s’attend un choc sanglant, à un duel digne des meilleurs films de cape et d’épée…
Et bien non, il faudra attendre !
Il faudra laisser les assistants, la dame et ses suivantes, les autres valets, recommander leur âme à Dieu et à tous les saints…
Mais toute la finesse de l’histoire est qu’en ce point l’auteur laisse cette bataille en suspens, s’excusant de ce qu’il n’a trouvé autre chose d’écrit des hauts faits de don Quichotte, sinon ce qu’il en a rapporté jusqu’ici.
… Heureusement qu’un second auteur (????) intervient alors qui va nous raconter la suite… dans le chapitre suivant !
(clin d’œil taquin !)
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Plaisir de te lire…Je n’ai plus envie d’ouvrir le texte original qui est à mon chevet…J’attends ta suite ! Merci, Quichottine Beau dimanche Bisous
Mais si, il faut le lire… pas à pas. Ne serait-ce que pour pouvoir me contredire ! Moi, je raconte, je commente, je dialogue avec l’original… mais je ne voudrais pas vous en éloigner. Grâce à vous, je reprends mon livre, je le lis de nouveau… j’y découvre des choses que je n’avais pas vues, alors je vous en parle. Lorsque je vais sur ton blog, j’y fais des découvertes, moi qui ne connais rien au monde de la mer. J’aime bien. Mais si ma peur de l’eau n’était pas si forte, je partirais voir pour de vrai tout ce que tu nous montres ! Bon dimanche à toi aussi. Bisous.
VRAI , vrai, vrai, vrai !!!! Successo, en italien, veut aussi dire » chose qui est arrivée « , pas forcément victoire ! Et tu commences à m’intéresser fortement à propos de ce Cervantes qui promène les lecteurs dans tous les recoins où il a envie d’aller , se permet de les laisser sur leur faim !!!!et de s’amuser avec !!!!! Mais, effectivement, tu le décortiques et le racontes si bien que l’on n’est pas tentés de lire mais d’attendre que tu continues !…
En espagnol aussi… J’espère que vous essaierez quand même de le lire un jour !
Bonjour Quichottine, merci pour lien. J’en fais de même dès que j’ai le temps. Une belle lecture. Bon dimanche.
Merci. J’espère que tu auras passé un bon dimanche aussi et que tu auras fait plein de photos !
Bonjour, je rentre, merci pour tes mots, bises.
Merci pour ton passage. As-tu rapporté d’autres images ?
C’est facile de se laisser porter par tes mots et leur mélodie… comme écouter les conteuses d’antan… à la veillée…Merci Quichott’
Merci Kinou. C’est un très beau compliment que celui que tu me fais là !!!!
Moi aussi finalment je vais piquer au truc !
Ah… Toi aussi ?
Mais féru comme tu es de l’histoire antique… J’ai envie de te dire « Tu quoque fili ? » (Pardon Seb ! Ne me tue pas encore… sinon tu ne sauras pas la fin ! …Sourire…)
je suis un passioné du chevalier à la triste figure je l’ai en cinq exemplaires avec des supers editions et la dernière du ministère de la culture espagnol à 1 euro j’ai même participé à une des célébres lectures intégrales du quichotte ou toute la population partcipe non stop
une de mes copine m’a même demandé de lui faire un tableau de nos aventuriers
tilk
Alors, c’est normal que je t’aie rencontré ! @ bientôt !
A relire cet article, je remarque la nuance moderne en français, entre succès et victoire.
Quand aujourd’hui il y a des manifestations dans la rue, il est intéressant de noter que c’est toujours un succès pour les responsables organisateurs (ils savent à l’avance ce qu’ils gagneront ou pas dans les négociations). Les manifestants, eux, croient toujours à une victoire 😉
Gros bisous, Amielle
Tu as très bien analysé les choses, Siratus !
… Comme quoi, le Quichotte est encore d’actualité pour qui veut bien le lire…
Merci ! Gros bisous à toi aussi…
J’ai du retard à rattraper, il va falloir que je trouve quelques heures à consacrer à ton blog! Bonne soirée Bisous
Merci Cali. Bonne soirée à toi aussi. Et puis, si tu ne lis pas tout, c’est pas grave ! (amis il vaut mieux lire les chapitres précédents de Don Quichotte…
je n’ai pas encore lu ce livre masi je commence sérieusement à me poser la question!! en tout cas encore merci de nous faire partager ta lecture avec autant de passion.
Ta visite me fait plaisir… Un jour tu le liras. Mais prends ton temps. Il ne faut pas, je crois, vouloir lire Don Quichotte comme on lirait un autre livre… entre deux gares.
Finies les fêtes, je reprends mes commentaires. Vu que j’ai dû dépasser tes productions dans ma lecture, les choses vont être un peu faussées.
Juste un commentaire sur le temps du roman qui n’est pas le temps réél. C’est justement ce que je trouve intéressant avec l’utilisation de ce que j’appelle les « tiroirs » qui s’ouvrent les uns après les autes…
Quelle meilleure façon de vivre « mille vies en une « ?
Je suis d’accord, Roland, il n’y a pas de meilleure façon…
Pour ta lecture, je pense que c’est bien, si tu es entré dans le roman et que tu l’achèves sans moi ce sera bien. Il ne faut d’ailleurs pas m’attendre, je ne sais pas si je le finirai…