Le chevalier à la triste figure (3)

Il m’aura fallu quelques mois, de nombreuses péripéties et fausses sorties pour en venir à aujourd’hui.

Nous voici donc réunis dans la bibliothèque, comme la première fois où vous m’avez rejointe alors que j’étais seule sur la banquette cachée dans l’embrasure de ma fenêtre aux rideaux bleus…

(Je sais que lorsque vous n’êtes plus sur l’accueil de mon blog, les rideaux sont d’un rouge magnifique… Ne vous inquiétez pas… Mais, au début, quand j’ai ouvert la bibliothèque, il n’y avait pas grand monde ici et je ne bénéficiais pas d’une bannière personnalisée. J’avais seulement une grande page blanche avec des modules encadrés de bleu. C’étaient les « rideaux » dont je me contentais alors. Depuis, la bibliothèque a changé, mais je suis toujours là, assise sur le rebord de ma fenêtre, seule à seul, avec vous, avec chacun d’entre vous…)

Je reprends donc aujourd’hui ma lecture, et surtout mon récit.

Don Quichotte… Nous en sommes au chapitre dix-neuf…

Depuis le 13 novembre dernier, vous attendiez vainement, il n’a pas avancé. Je me suis occupée de choses et d’autres, et la poussière s’est accumulée sur mon roman préféré.

J’ai honte, c’est vrai. Le onze et le douze de ce mois-là, don Quichotte lui-même avait dû vous faire la lecture. Il avait d’ailleurs commencé le dix, pour accéder à la demande de ceux qui se pressaient autour de lui. Il avait continué l’histoire des mystérieux cavaliers blancs contre lesquels il avait dû se battre. Pour une fois, la bataille avait tourné à son avantage. Il avait défait les chevaliers et blessé l’un d’entre eux, un pauvre bachelier qui en resterait boiteux pour le restant de ses jours.

Sancho, qui n’a pas la langue dans sa poche, a crié à ceux qui s’enfuyaient que le nom de leur vainqueur était « don Quichotte de la Manche » et qu’on l’appelait aussi « le Chevalier de la Triste Figure ».

C’est la toute première fois que nous entendons ce surnom.

Don Quichotte ne s’en offusque pas. C’est un pseudo comme un autre ! De plus, il est bien certain que Sancho n’en a pas eu l’idée tout seul et que c’est celui qui écrira ses « chroniques » qui la lui a soufflée.

Je souris…
Imaginez, dans l’un des dialogues de mon histoire, mon héros  – Clément – disant à son interlocuteur :

– « C’est Quichottine qui t’y a fait songer. »…

Cela semblera absurde à certain, je le sais, mais Cervantès, ici, entre dans son roman.

– […] Ainsi donc, dis-je, le sage dont je viens de parler t’aura mis dans la pensée et sur la langue ce nom de chevalier de la Triste-Figure, que je pense bien porter désormais ; et pour que ce nom m’aille mieux encore, je veux faire peindre sur mon écu, dès que j’en trouverai l’occasion, une triste et horrible figure.

Nous imaginons facilement ce qu’il faudrait peindre sur son écu. Des dizaines d’années de film d’horreur ont peuplé nos imaginaires de suffisamment de monstres divers. Nous risquons même d’avoir des difficultés à choisir.

Sancho trouve que ce serait une dépense inutile :

– […] je vous assure, soit dit en badinage, que la faim et le manque de dents vous donnent une si piteuse mine qu’on peut, comme je l’ai dit, très aisément épargner la peinture. »

Je le trouve bien peu respectueux de son maître et j’en connais qui, pour bien moins que ça, auraient tâté du fouet. Mais non. Le chevalier en rit à gorge déployée !

Don Quichotte se mit à rire de la saillie de son écuyer, mais pourtant n’en résolut pas moins de prendre ce surnom, en faisant peindre son bouclier comme il l’entendait.

C’est tout lui… il n’en fera qu’à sa tête. Il n’a pas la moindre piécette dans son escarcelle et il prévoit d’en dépenser. Pourtant, Sancho n’a pas tort. Depuis ses dernières aventures dans l’auberge, don Quichotte est loin de ressembler à un prince charmant !

De plus, le voilà excommunié. Ce devrait être très grave.

Pas du tout !

Extrait de sa panoplie d’excuses et d’alibis en tout genre, Don Quichotte se souvient du Cid, lui aussi excommunié, et qui était pourtant un excellent chevalier.

« Sais-tu bien, Sancho, lui dit-il ensuite, que me voilà excommunié pour avoir violemment porté les mains sur une chose sainte, […] Et quand il en serait ainsi, je n’ai pas oublié ce qui arriva au Cid Ruy-Diaz quand il brisa la chaise de l’ambassadeur d’un certain roi devant Sa Sainteté le pape, qui l’excommunia pour ce fait ; ce qui n’empêcha pas que le bon Rodrigo de Vivar n’eût agi ce jour-là en loyal et vaillant chevalier. »

Le Cid… Il faudra que je vous le présente aussi un jour, à ma manière…
Mais une autre fois. Nous devons d’abord terminer ce chapitre !

Le bachelier s’étant éloigné sur ces entrefaites, don Quichotte avait envie de voir si le corps qui venait dans la litière était de chair ou d’os ; mais Sancho ne voulut jamais y consentir.

Vous imaginez ? Le blessé vient à peine de tourner les talons… et notre héros veut contrôler le cadavre !
Sancho, présent, s’interpose. Il ne veut pas courir de risque, il fait bien. Ceux qui se sont enfuis pourraient avoir envie de revenir. Ils quittent donc le champ de bataille, sans tergiverser davantage.

Salvador Dali (Illustration pour Don Quichotte – Ière partie, chapitre 19)

[…]

Après avoir cheminé quelque temps entre deux coteaux, ils arrivèrent dans un large et frais vallon, où ils mirent pied à terre. Sancho soulagea bien vite son âne ; puis, maître et valet, étendus sur l’herbe verte, ayant toute la sauce de leur appétit, déjeunèrent, dînèrent, goûtèrent et soupèrent tout à la fois, pêchant dans plus d’un panier de viandes froides que messieurs les prêtres du défunt, gens qui rarement oublient les soins d’ici-bas, avaient eu l’attention de charger sur les épaules du mulet. Mais il leur arriva une autre disgrâce, que Sancho trouva la pire de toutes : c’est qu’ils n’avaient pas de vin à boire, pas même une goutte d’eau pour se rafraîchir la bouche. La soif à son tour les tourmentait, et Sancho, voyant que le pré sur lequel ils étaient assis avait beaucoup d’herbe fraîche et menue, dit à son maître ce qui se dira dans le chapitre suivant.

Et voilà ! (Dépit dans l’assistance)

Le chapitre s’achève et l’on ne saura rien sur ce que dit Sancho à son maître.
Cervantès, il y a plus de quatre siècles, était un maître du suspense !

70 commentaires à propos de “Le chevalier à la triste figure (3)”

  1. Merci;  de nous avoir lu ce chapitre; quel dommage que  ce soit finit    ;j’étais bien ici allonger sur de moelleux coussins    bonne nuit Quichottine   à demain

  2. quel plaisir de te voir reprendre le Don quichotte…oui quel plaisir
    besos
    tilk

  3. Je m’étais bien installée moi là et c’est déjà fini. J’attend la suite avec impatience. Bonne journée.

  4. je crois que je vais me casser une patte pour avoir du temps à passer chez toi…. marre de cette course en avant pour aller à l’indispensable…. bonne journée Quichottine

    • Tu n’as pas besoin de te casser de patte… je préfère que tu sois en bonne santé pour m’accompagner dans la bibliothèque.

      Tu reviendras plus longuement quand tu auras du temps.

      Passe une bonne soirée.

  5. Tu as une imagination fertile et la plume bien pendue comme la langue de Sancho !!! Sourires !! J’aime

    Bises de nous deux.

    • Je suis contente que tu sois aussi assidu dans la bibliothèque… J’ai tant de retard chez toi !

      Merci pour tes mots… et gros bisous à vous deux !

  6. C’est encore une très fertileimagination qui a pris le dessus de l’histoire, bravo
    Amitiés, Flo

    • Merci, Flo.

      J’essaie seulement de montrer comment je le vois quand je le lis.

      Passe une douce soirée !

  7. vraiment contente de retrouver de Don Quichotte..L’illustration  de Dali est très belle

    • Je trouve aussi. Dali était un personnage fantastique… même si je n’aime pas tout ce qu’il a créé, ses interprétations de Don Quichotte valent le détour.

      Merci pour ta présence.

  8. Quel plaisir de suivre ainsi cette épopée !
    Je me joins à l’assemblée avec joie, et patience …
    Félicitations pour ton interprétation, Quichottine. Bisous d’ici !

  9. Merci aussi à Débla pour ce document plein d’intérêt.

    • C’est vrai… Il est magnifique. Il devait sortir du tiroir à commentaires, et c’est chose faite.

  10. Vont-ils lécher les brins d’herbe mouillés de rosée ou traire qq vaches ??A demain  Bises   VITA

  11. Je les imaginais très bien en train de lêcher les brins d’herbe , mais Sancho doit avoir plus d’une astuce dans son sac à dos!! c’est symap cette manière de raconter ; un peu de lecture un peu de coms et du suspense … 
    bonne journée

    • Merci… C’est vrai que tu ne connais pas encore… J’espère que tu continueras à trouver la bibli sympa.

      Bonne nuit à toi.

  12. du coup je me mets à fredonner l’homme de la Mancha, jhe pense même que je vais me mettre le disque, ce sera plus harmonieux LOL. Bonne journée, super agréable pour jardiner avec ce beau temps, ce que j’ai fait. Bigs bises

    • C’est un merveilleux disque… je l’écoute souvent !

      Je suis contente que tu aies pu jardiner. Bigs bises à toi aussi

  13. Malgré son plat à barbe et sa triste figure Don Quichotte n’est pas un bonnet de nuit. Il était temps que tu reprennes la lecture, je commençais à oublier.
    J’ai aussi hâte de voir ce que tu feras sur Le Cid (Campeador ?). C’est un personnage qui me fascine.

    • Tu as raison, il était plus que temps.

      Merci, je ne sais pas encore ce que je vais en faire… mais j’y réfléchis.

      Il y a beaucoup à en dire…

  14. Malgré son plat à barbe et sa triste figure Don Quichotte n’est pas un bonnet de nuit. Il était temps que tu reprennes la lecture, je commençais à oublier.
    J’ai aussi hâte de voir ce que tu feras sur Le Cid (Campeador ?). C’est un personnage qui me fascine.

  15. Oui nous aussi restons un peu sur la soif; dire qu’il y a tant et tant de sources cachées qui voyagent sous nos pieds !
    Ainsi il faudra attendre à demain un rafraîchissant verre d’eau !
     bonne nuit tout de même, Quichottine.

  16. Comme je suis arrivée en cours de route, j’ai poussé doucement la porte de la bibliothèque sans rien déranger, car « la bibliothécaire s’était momentanément absentée » et comme elle a un sens inné de l’accueil, je m’y suis tout de suite sentie à l’aise.
    Ma toute petite bibliothèque virtuelle vient de se constituer des pirouettes de Bigornette, mais le parcours pour me parvenir …

    • Ah ? Tu as acheté le recueil de Bigornette ? C’est cool… Je ne l’ai pas encore acheté mais je le ferai sans doute.

      Merci d’être passée.

  17. Mine de rien, une relecture sympa, ça me rappelle ma démarche (un peu plus loufoque par contre, désolée, c’est mon style, peux pas y faire grand chose !)
    L’édition de Doré étant à portée de pogne, le volume me cligne de plus en plus de l’oeil… je vais le mettre de côté pour mes feignasseries estivales sur la terrasse….

    • Merci pour ton appréciation.

      Tu sais, je ne fais que lire et commenter, soulever les détails qui m’ont intéressée. Alors, parfois, c’est plus drôle, parfois moins, cela dépend de ce que j’ai à lire.

      Ceux qui ont accroché à ma présentation ont déjà terminé leur lecture… Moi, je suis un peu en retard.

      Bonne lecture à toi si tu décides de te lancer.

  18. Rectif ! Me re-lancer, j’ai déjà lu deux fois le truc mais ça fait des lampadaires (des lustres si tu préfères le conventionnel hé, hé)

    • Non, ça me va… Les « lampadaires » me parlent davantage !

      Bon, alors tu es une « pro », de Don Quichotte, il va falloir que j’évite de trop me lâcher…

  19. Euh… Ai-je bien lu 2009 ?  A suivre ?  😉

    Douce nuit, Amielle. Gros bisous, tout plein

  20. Aaaaaah! cela faisait longtemps !!! il avait du se perdre dans la bibliothèque !!!

  21. Don Quichotte , voilà un lien qui devrait te plaire , c’est Dali en train de peindre un Don Quichotte accompagné par la guitare de Manitas de plata et la voix de mon beau frère  José Reyes ….( j’espère que le lien soit le bon !!)
    http://www.youtube.com/watch?v=jGHtM_A_ofs

    • Tu es géniale ! Je ne le connaissais pas !

      Merci tout plein !

      Le lien fonctionne merveilleusment bien !

  22. Et donc on repart avec le chevalier….. je l’aime bien lui ….. mais j’attendais Clément….. bouhhh!!!!!
    Je file à la Grande Ourse demain ! je saluerai le gardien de l’âtre! autre chevalier!
    Bises dany

    • Chut… Je sais bien que tu attendais Clément, et je t’ai préparé une surprise, elle est là (clic).

      Bon voyage, Dany !

  23. L’art de nous faire attendre… sourire…
    Quant à Clément, je l’imagine bien…un jour, dire au chien, « mais oui, tu sais Dame Quichottine nous avit bien prévenu..mais nous n’en avons fait qu’à notre tête!! « 

    Bonne soirée Quichottine

  24. Je suis en retard à la bibliothèque .. Je ne voudrais déranger personne pendant la lecture … Alors je passe vite et pour un fois je me tais … J’ai un mot d’excuse : Athènes c’est loin et l’autoca avait du retard !

    • Pauvre Liza ! C’est vrai qu’Athènes, c’est très loin !

      Ne t’en fais pas… je suis en retard aussi, et je suis bien moins loin que toi !

  25. Le revoilà et  sous ta plume je l’aime de plus en plus ce grand édenté qui est même excommunié et ne s’en soucie guère.

  26. J’ai feuilleté au hasard votre Blog original, très varié et si bien écrit. J’ai, mais en vain, cherché la copie du buste de Cervantes qui auparavant ornait l’entrée de la grotte à Alger où il s’était caché de ses oppresseurs. J’ai lu que ce buste, une copie de celui du Musée de Madrid, avait été offert à la ville d’Alger en 1894 par un comité espagnolisant . Ce buste a disparu dans la tempête de l’Histoire…et il ne reste qu’une inscription commémorative sur le séjour peu agréable de Miguel de Cervantes en Alger; souvent évadé et repris par ses geôliers. Il avait du parvis de sa grotte, une vue superbe sur El-Djezair d’alors, et sur la méditerranée qui portait des voiliers sauveurs mais inaccessibles…
    Voici une iconographie (ancienne et moderne) très riche des oeuvres de Cervantes qui peuplera abondement  vos Quichotteries en hiver au coin du feu…. !

    Continuez avec votre Quichottonie à faire la Manche à la Muse, pour votre plaisir et celui des internautes .

    • Je suis loin d’avoir recensé toutes les images quichottesques et ce n’était d’ailleurs pas le but originel de mon blog.

      Par contre, mes aminautes m’en apportent souvent ou me donnent des adresses où ils ont croisé Cervantès ou son héros.

      C’est ainsi que j’ai eu la vôtre.

      Les liens que vous m’apportez ne semblent pas s’ouvrir correctement. J’atterris sur des pages blanches. Mais je chercherai à quoi ils peuvent correspondre.

      Merci pour votre participation au Petit Quichottin illustré

      Votre première visite ici est de grande qualité, comme l’était votre billet chez vous.

  27. Encore un détail : (Je suis moi-meme un émule de Don-Quichotte et cela ne m’a jamais rendu  la vie facile, les Moulins à Vent étant toujours les plus forts!).
    Voici une superbe iconographie de Miguel deCervantes. Je n’ai pas hélas le don du dessin pour figurer ces deux héros !

    http://www.archive.org/stream/iconographyofdon00ashbuoft/iconographyofdon00ashbuoft_djvu.txt

    A Alger + discours 1894:

    464. 

    Un buste, " du au travail d'un modeste ouvrier sculpteur, CESAR TEMPESTA, qui a
    reproduit d'une façon heureuse le modele en platre qui lui a etc Iivré et qui nous avait

    té remis d'Espagne". Erected, in 1894, in the grotto, near Alger, where Cervantes
    is supposed to have taken refuge during his captivity.

    a é

    1 Discours Prononce par M. ALCALA GALIANO, Consul général d'Espagne à Alger Le 24 juin

    1894 Alger Ernest Mallebay 1894.

    http://jean.salvano.club.fr/Blida/mallebay.htm

    Bonne cavalcade sur la toile !

    • Merci, vraiment, tous ces liens fonctionnent parfaitement !

      C ‘est gentil.

      Les moulins sont souvent vainqueurs, mais ce n’est pas une raison pour abdiquer.

      Merci d’être revenu.

  28. hello Quichottine!  y avait longtemps , j’espère que tu vas bien , la nuit dernière un ange t’as aménée jusqu’à mon blog , alors que je peignait  l’homme de la mancha , drole de coincidence pas vrai ! ?

    voilà ! je dépose le lien de l’image ici , en te souhaitant  que l’  année 2010 t’apporte   le meilleur , ce que tu  désire  au fond de toi , entouré de tes  proches ;
    je t’embrasse

    • Merci, Gari… Nos pensées se sont croisées et j’en suis heureuse.

      Merci pour ce lien, ton portrait est superbe !

      Je te renouvelle ici mes voeux…

  29. Je viens de lire une interview d’Amélie Nothomb, elle dit : ►
    Mon livre fétiche, c’est Dom Quichotte de Cervantes c’est le plus beau héros, le livre le plus nécessaire j’aurais pu finir comme lui, dans les livres, hors de la vie ◄

    • Eh bien… tu vois, il faudra que je la lise. Je la fuis un peu… j’ai sans doute tort.

      Passe une douce soirée. Bisous.