Avant Sancho Pança (2)

Dans la bibliothèque trop silencieuse, Quichottine réfléchissait.

 

 

 

Le chevalier l’avait quittée la veille, emportant son livre bleu. Était-ce par dépit ? Avait-il été froissé par cette trop longue attente ou, plus sûrement, par des mots maladroits ?

 

 

Ce qui était certain, c’est qu’à l’heure de continuer son récit, son ami de toujours lui manquait.

 

 

Qui était-il donc ?

 

Parmi les dernières acquisitions de l’imagier quichottesque, une photographie récente* prise à Séville résumait assez bien le problème.

 

 

On y voyait don Quichotte au moment même où il décidait d’affronter les moulins.

 

 

100405_Seville_Quichotte_2.jpg

 

 

 

Dès que l’on évoquait don Quichotte, c’était toujours avec Sancho Pança, et, le plus souvent, devant des moulins à vent.

 

Mais enfin ! Il existait bien avant Sancho Pança ! Les moulins n’étaient qu’un tout petit épisode de rien du tout narré dans le huitième chapitre de la première partie du roman. Sancho n’apparaissait qu’un chapitre plus tôt…

 

 

Quichottine refusait absolument de penser que les six premiers chapitres ne comptaient pas.

 

 

Pourquoi les avait-on ainsi gommés ?

 

 

La bibliothécaire relisait ses propres pages à défaut de se plonger dans le livre manquant.

 

 

Avant les moulins, il avait fallu se faire armer chevalier, se donner LA RAISON de se lancer à l’aventure.

 

Don Quichotte avait dû entrer en chevalerie comme on entre en religion. Il s’était inscrit dans une longue lignée. Il devait avant toute chose se positionner dans la société, exister, pas seulement pour soi, par soi, mais vis à vis de ceux qui pourraient le considérer comme un des leurs.

 

 

(Ici, nous nous inscrivons dans des communautés. Là-bas, le héros de Cervantès effectuait la même démarche. Il se donnait le droit d’agir selon leurs lois tout en leur demandant une certaine reconnaissance.)

 

 

 

L’adoubement était une mascarade… Vous souvenez-vous de l’auberge et des filles de joie ?

 

 

Ce jour-là, les mots avaient essayé de séparer le rêve de la réalité.

 

Tout se passe comme si nous avions d’une part la réalité et de l’autre ce que le vieil homme voit, à travers le prisme de ses lectures passées. Il interprète constamment… et agit comme il pense qu’il le doit dans le monde où il se croit.

N’agissons-nous donc pas ainsi ?

Nous sommes sans doute plus raisonnables, moins passionnés mais nous donnons aux choses et aux êtres qui nous entourent des rôles et des pensées qui ne sont sans doute pas tout à fait conformes à leur réalité.

Nous les adaptons à la nôtre.

C’est ainsi que fait don Quichotte, et si sa caricature de la réalité nous fait sourire parfois, elle nous attendrit aussi. Nous commençons à le comprendre, à vouloir le protéger.

C’est un enfant malgré son âge.
Un enfant, doux et rêveur, qui voudrait que le monde soit beau.

Le tavernier apprend à don Quichotte que les potions magiques et les gentils enchanteurs n’étant pas toujours au rendez-vous, un chevalier errant doit se munir du nécessaire, avoir un écuyer qui portera l’argent, les onguents et les chemises de rechange. Ce sera la première leçon.

Quichottine, 26 juin 2007

 

 

 

 

On apprend toujours d’une rencontre, bonne ou mauvaise. Le Chevalier me l’avait confié autrefois et je m’en souvenais.

 

 

Merci à ma plus jeune fille qui m’a rapporté de Séville des images quichottesques, dont ce détail, capturé sur la Plaza de España au mois d’avril dernier.

 

74 commentaires à propos de “Avant Sancho Pança (2)”

  1. On voit souvent ainsi que l’on veut voir et comprend ainsi que l’on veut comprendre, de cette façon nous modelons notre univers, sans pour autant en être satisfait.

    • J’aime énormément la façon dont tu résumes les choses.

      C’est tout à fait ça !

      Merci, Adamante.

  2. Puissions nous rester de grands enfants….  Peut être vaut-il mieux voir les êtres et les choses autrement qu’ils sont, cela aide parfois à vivre. Bises

  3. Je rencontre d’énormes difficultés pour te rendre visite. Les pages ne s’ouvrent pas ou bien après 2 minutes d’attente, impossible de laisser un commentaire, les liens ne fonctionnent pas ou la connexion se fige. Miracle une fenêtre s’ouvre, sous une forme inconnue je tente pour te dire que j’essaie de ne rater aucune de tes rubriques passées ou présentes consacrées à Don Quichotte.

    • Je crois que c’est très difficile depuis quelques jours déjà. J’espère que ça ne va pas durer.

      Merci d’avoir tenu bon, Olivier.

  4. Oui, l’utopie est nécessaire !

    J’aime bien le regard que tu portes sur Don Quichotte

  5. Don Quichotte ne doute de rien, et c’est ce qui est formidable ….. garder cette crédulité de la jeunesse. Bises ma Quichottine.

  6. C’est vrai que nous voyons les autres comme ils ne sont pas forcément. Mais nous nous comportons aussi parfois faussement, comme il convient de se montrer pour une occasion, une circonstance où l’on pense que notre vrai « moi » n’est peut-être pas acceptable. D’où la difficulté des rapports humains.

    J’aimerais philosopher avec toi au coin du feu, devant un chocolat chaud !

    • Faussement, peut-être pas vraiment.

      Nous adaptons. Je crois que c’est indispensable en société. Mais nos amis savent ce que nous sommes, nous pouvons être « vrais » avec eux, avec toutes nos imperfections.

       

      Le jour où nous devons cacher un peu de nous à l’ami, c’est qu’il ne l’est déjà plus.

       

      Un chocolat chaud ne serait pas de refus aujourd’hui… ni le feu, d’ailleurs. Il fait toujours aussi froid par ici.

       

      Merci pour ta présence.

    • Il me manquait aussi.

      Il sera là désormais, chaque semaine, tant que j’y serai aussi.

      Merci, Annie.

  7. Je me surprends à lire  » Quichottine  » en place de  » don Quichotte  » …

     

    Les moulins sont très (trop ?) présents dans l’image qui se forme en pensant  » don Quichotte « , mais pour moi c’est avant tout son cheval qui est indissociable du chevalier.

     

    Bon après-midi, Quichottine. Bisous. 

    • Sourire…

      Tu as tout àfait raison. Le chevalier ne serait rien sans son cheval. Il n’aurait pas pu faire son voyage sans lui.

      Bonne fin de semaine, Midolu.

  8. « Un enfant, doux et rêveur, qui voudrait que le monde soit beau.. »

    Puissions-nous rester encore des enfants longtemps ma Quichottine…
    Je t’embrasse.

    (Je vais à la maternouille cet après-midi avec quelques délices aux pommes…)

    • Puissions-nous, Marité… Longtemps !

      Je te réponds trop tard pour te demander si ça s’est bien passé… mais je suis sûre que tu étais contente d’y aller.

       

      Bisous et bonne journée.

  9. C’est un plaisir de retrouver, avec ta belle plume, la première grande star mondiale. Bonne journée.

  10. Lui au moins  a voulu vivre son rêve   qui était sa réalité .

    On voit le monde à travers notre vécu  et on projette nos désirs  sur les choses de la vie pour la rendre plus belle ; après tout  il n’y a pas de mal  à vouloir les choses telles qu’on les rêve ..

    J’aime bien redécouvrir  Don Quichotte  ainsi

    Bisous

    • Il n’y a aucun mal… Ce n’est pas moi qui te dirais le contrire.

      Tu exprimes très bien ce que je pense.

      Merci d’être avec moi pour cette redécouverte, Fanfan.

      Bisous.

    • Merci, Pierre.

      C’est une grande idée que ce Quijote sur Youtube.

      Puisqu’il y a plus de cinq cent millions de personnes susceptibles de les regarder, ces vidéos auront sans nul doute beaucoup de succès. Un vrai défi.

  11. Je lis je lis ..avec bcp de retard encore!!

    bise et belle soirée

    • J’ai encore plus de retard pour te répondre…

       

      Bonne lecture, Adèle.

      Passe une douce fin de semaine.

  12. Cette céramique est superbe, avec Sancho et son âne, le grand cavalier et sa Rossinante et les moulins qui ne se méfient pas et qui tournent dans le vent , il ne savent pas qu’il vont peut-être subir les assauts du chevalier tumultueux…

  13. Bonsoir Quichottine. Je connais l’endroit où cette photo a été prise plaza de Espana à Séville. C’est un endroit magnifique avec des fontaines et des azulejos. Bisous

    • J’ai vu d’autres images sur Internet. C’est vrai que la place est jolie.

      Qui sait si je n’irai pas là-bas un jour ?

      Je l’espère.

  14. Allo! Je retiens bien les moulins, mais moi ce que j’aime de cette histoire, c«,est avant les moulins. Les profs nous le présentait comme un superficiel et immature. J’aimais son côté rêveur et innocent, pur dans sa vision bien à lui. Tous les moyens sont bon pour arriver à venir à bout de sa passion; d’abord, la vivre et c’est ce qu’il a fait. Merci Quichotine. Bises

    • Les profs ne devaient pas l’avoir lu…

      Je pense que ce roman a plusieurs lectures possibles. On peut y voi le côté superficiel, l’aventure absurde d’un homme un peu fou… ou, au contraire, un livre qui nous mène beaucoup plus loin sur les chemins de la réflexion.

       

      Vivre sa passion… oui, je crois que c’est important.

      Merci à toi, Snow. Je suis contente de savoir que tu me suivras dans ma lecture.

  15. Si je disais que je te suis dans ton « délire », peut être ne comprendrais tu pas ! Tu vois, comme tous, je mets à ma sauce ce que je ressens sans vraiment prendre en compte ce qui est ta pensée à Toi ;

    Mais te lire ravive un film que j’ai trouvé récement sur e bay et qui raconte l’histoire du Rêveur. Je reste le sourire au visage, un bien attendri il est vrai; Merci ;

    • Je crois que je comprendrais.

       

      Je sais que lorsque j’écris ainsi, je suis hors du « raisonnable ». Je donne vie à un personnage de roman, je lui parle, je lui attribue des pensées, des réactions que Cervantès n’approuverait peut-être pas.

       

      Mais c’est mon plaisir à moi, mon droit.

      Je l’ai annoncé, ce n’est pas « scientifique ». Ma lecture est faite de sensations éprouvées devant les mots lus, les images vues.

       

      Très personnelle, donc.

       

      Quel film as-tu trouvé sur e-bay ?

  16. Depuis que je connais ton blog, tu m’as donné envie de rajouter ce livre à ma pile. Et pourtant je ne l’ai toujours pas lu ! Don Quichotte m’impressionne, je n’ai pas encore ouvert ce livre…

    Bises

    Marie

     

    • Le roman est impressionnant, c’est vrai.

      Je pense que beaucoup s’arrêtent dès les premières pages.

      Je pense qu’il faut d’abord y grapiller. Ensuite, la lecture en est plus facile.

      Bises à toi, Marie.

  17. De même que Don Quichotte sans son Sancho, Tintin a existé sans son Capitaine. Mais a-t-il eu une vie sans Milou?

    • Tintin n’existerait pas sans lui… Il est de ces personnages qui traversent les imaginaires parce qu’ils sont deux.

       

      Don Quichotte est un tout. Il n’aurait rien été seul. Il lui fallait Rossinante, Sancho, Dulcinée… et tous les personnages qui gravitent autour de lui et qui nous permettent de le comprendre et de lui donner plus de relief.

       

      Cependant, je confirme qu’il ne faut pas en rester aux moulins.

  18. Bonjour : le film

     

    DON QUICHOTTE « L’aventure extraordinaire d’un homme peu ordinaire »

     

    JOHN LITHGOW BOB HOSKINS ISABELLE ROSSELINI VANESSA WILLIAMS de PETER YATES (HALLMARK ENTERTAINMENT).

    Si cela t’interesse je peux essayer de  le copier…

    Douce journée.

    • Merci pour ces précision.

      Ce n’est pas la peine de me le copier. Je l’ai.

      En tout cas, merci d’avoir pensé à moi et pour cette offre amicale.

       

      Passe une douce soirée, Liedich.

  19. j’aime bien ton monde de l’imaginaire, si proche de la réalité

    bonne journée quichottine

  20. C’est vrai que tout de suite nous vient en tête « les moulins » et pourtant ce n’est pas le détail le plus écrit dans le livre

    pour moi c’est « l’âne » de Sancho qui me vient de suite à l’esprit 🙂

    • Cela ne m’étonne pas vraiment… et pourtant, cet âne est un personnage plus que secondaire.

      Merci, Kri.

  21. C’est souvent comme ça pour els grandes oeuvres: on se souvient toujours d’un seul passage . Pour Cervantès on se souvient du Don Quichotte des Moulins à vent accompagné de son serviteur et pour Victor Hugo on garde en mémoire Cosette et Jean Valjean

    • Cosette et Jean-Valjean… C’est vrai. Mais sans doute cette scène bénéficie-t-elle de l’image que nous a offert Jean Gabin, dans un film fantastique.

       

      Mais je suis d’accord. On ne se souvient généralement de ce qui a marqué.

  22. L’image, et surtout se qu’elle évoque est un miracle ! Lutter contre l’inutile n’est pas donné à tous. Cela dénote un grand recul sur se que pense les trop bien « pensants ».

    Je t’embrasse mab elle aimis

    • « Lutter contre l’inutile »… J’aime bien.

      Il faudra que j’y réfléchisse.

      Merci, Nettoue. Bisous.

  23. Il est sur que chaque action provoque une réaction, et ‘lon apprend de tout cela, de façon joyeuse ou douloureuse!

    Je me rappelle bien dans ma lecture du livre de Cervantes de ce passage dans l’auberge, , lui, ne se rendait compte de rien, il était tout à « son » histoire…

    • Il rêvait tout éveillé et interprétait tout selon son rêve.

      Peut-être est-ce un peu ce que nous faisons lorsque nous regardons ce qui nous entoure. L’image que nous avons des autres est filtrée par notre regard. Une même réalité sera vue différente par des personnes différentes. Nous interprétons toujours en fonction de notre vécu et de notre attente.

      Merci pour ces mots, Mahina.

  24. Il va falloir que je m’y mette…. à lire ce livre qui te passionne tant… Ben oui, la honte… En avoir entendu dire autant de bien depuis des décennies et ne pas l’avoir lu… Et de plus, je ne pourrais pas commenter tes billets…

    Bonne soirée Quichottine

    • Tu peux toujours…

      Mais il ne faut pas avoir honte, Marie. Tu sais, il y a très peu de gens qui l’ont lu en entier, même s’il a fait le tour du monde.

      Je pense que c’est un livre qui impressionne et qu’on hésite à aborder.

       

      Bonne journée à toi.

  25. Je reviens… Je viens de me le procurer par mon réseau de bibliothèque sur internet et qu’est-ce que j’ai tapé? Devine… Don Quichottine … si si croix de bois….

    • Rire ! A force de taper Quichottine… j’imagine bien.

      Mais ton réseau de bibliothèque a bien traduit… c’est une bonne chose.

       

      J’espère que tu me diras ce que tu en auras pensé.

  26. Juste un petit coucou , je repasserai demain te lire , les journées sont raccourcies en ce moment , famille oblige ….sourires

    bises

  27. C’est bien vrai; nous sommes tous des Don Quichotte, à notre façon et à notre niveau : j’ai combattu bien des moulins …. AVANT !

    Merci pour tous ces cadeaux déposés dans ma « Communauté » …

    • Maintenant, tu en combats encore… mais ça se voit moins.

       

      Pour la communauté, c’est normal. Je fais ce que j’avais dit.

  28. Bon, c’est dit, le prochain livre que je lirais, ce sera les aventures de ton Chevalier. J’ai appris le minimum sur lui en cours d’espagnol il y a… hou la la quelques décennies !…. suffisamment pour savoir le nom de l’auteur, de son cheval et de ses compagnons, mais je ne l’ai jamais vraiment lu ( je préférais déjà Sir Arthur Conan Doyle ….à Cervantès à cette époque ! ). Finalement, les blogs ont du bon, on y trouve aussi des choses qui vous donnent l’envie d’avoir envie ! C’est ce qui se passe ici…

    Je t’embrasse

    • Je comprends que tu aies préféré Conan Doyle à Cervantès…

      J’espère que tu ne seras pas déçue, et que tu ne m’en voudras pas de t’avoir donné l’envie de le lire.

       

      Je t’embrasse, Zézette. Merci pour ces mots-là.

  29. Bien sûr que NON, le Chevalier ne peut pas être froissé par des mots maladroits, ni pas une longue attente, le Chevalier comprend ces choses là !

    Mais bien sûr qu’il y a toujours quelque chose à apprendre d’une rencontre, c’est pour cela qu’elles sont nécessaires et qu’elles contribuent à notre marche vers demain. On préfère certainement les bons moments des rencontres mais les mauvais servent aussi à nous faire encore mieux apprécier les moments heureux.

    Tout est enseignement, il suffit juste de tirer la bonne leçon, enfin je crois !

    bises Quichottine et mes hommages respectueux au Chevalier et son écuyer !

    Trinity

  30. Un enfant doux et rêveur…

    C’est un peu ce que je suis encore, tant pis pour les adultes trop sérieux 🙂

    Marcelle

    • Je crois que beaucoup le sont parmi mes visiteurs… et j’aime que ce soit ainsi.

       

      Merci pour ta présence, Marcelle.