Le chevalier à la triste figure (1)

— Ce soir-là, je me souviens très bien, Quichottine vous raconta comment j’avais défait ces chevaliers blancs… et comment j’avais ainsi retrouvé l’admiration de mon couard de valet qui ne voulait pas que j’aille au-devant d’eux.

— Oui, c’est vrai… Elle nous l’avait lu !

Iman Maleki,1997
(Là, c’est Vita qui parlait… elle avait bien suivi.
Elle lisait en même temps que Quichottine dans le Grand Livre.)

Sancho, cependant, regardait tout cela, admirant l’intrépidité de son seigneur, et il disait dans sa barbe :
« Sans aucun doute, ce mien maître-là est aussi brave et vaillant qu’il le dit. »

(Don Quichotte, I, 19)

— Mais l’histoire n’était pas encore finie… elle vous l’avait dit, non ?

— Oui, c’est vrai…

Là, ce fut un tollé général… Pourquoi Dame Quichottine n’était-elle pas là ? Pourquoi avait-elle laissé le soin au Chevalier de raconter cette aventure ?

Clo fit passer une information stupéfiante : Don Quichotte aurait rédigé ses mémoires sur un simple calepin… Chaque aventure tenait donc en deux mots, ou, au mieux, une simple phrase !

Où serait donc l’épopée si personne ne trouvait les mots pour dire les « à côté », ce qui fait que brusquement s’arrêtent les apartés ? Il fallait que l’on retrouvât vite l’âme de ces lieux !

Dans un grand bruit de ferblanterie, le vieil homme se dressa soudain.

Il était de nouveau tel que l’avait peint, maintes fois, Quichottine. Le silence se fit et même Koulou arrêta de crayonner. Muad fit un pas en arrière et, ce faisant, bouscula Michka qui laissa tomber son appareil photo, heureusement rattrapé – in extremis – par Sylviane qui savait bien ce que ce serait pour lui de ne plus en avoir…

(Elle avait déjà eu le désagrément d’en être privée)

— Allons ! Oyez cette grande aventure ! Ô gens de peu de foi ! Vous ne me faites donc pas confiance ? Vous ne pensez pas que je puisse me souvenir du moindre des mots que l’on écrivit sur moi ? Je ne l’ai point noté, soit, mais j’en ai souvenir ! Nul ne pourra me supplanter dans ce rôle !


Le chevalier
était fort irrité de ce qu’il avait cru comprendre. Il allait de l’un à l’autre et toisait chaque visiteur de son regard perçant…

Val’r, d’un geste impérieux de maîtresse,
enjoignit à chacun de se taire et de se tenir coi.

Le récit pouvait désormais continuer.

— Or donc, ce soir-là, après avoir défait les cavaliers blancs, je me suis trouvé aux prises avec… un prisonnier ! Tous mes biographes l’ont très bien noté. Ce fut une belle rencontre… Avec un personnage important pour la suite des événements.

Une torche était restée, brûlant par terre, auprès du premier qu’avait renversé la mule. Don Quichotte, l’apercevant à cette lueur, s’approcha de lui, et, lui posant la pointe de sa lance sur la gorge, il lui cria de se rendre, ou, sinon, qu’il le tuerait.

« Je ne suis que trop rendu, répondit l’homme à terre, puisque je ne puis bouger, et que j’ai, je crois, la jambe cassée. Mais, si vous êtes gentilhomme et chrétien, je supplie Votre Grâce de ne pas me tuer ; elle commettrait un sacrilège, car je suis licencié et j’ai reçu les premiers ordres. »

(Don Quichotte, I, 19)

— Et alors ? Et alors ? Et alors ?

(Chacun essayait de pousser l’autre et, de mémoire de bibliothécaire, on n’avait jamais vu un tel tohu-bohu !)

— Vous ne lavez pas tué ?

… demanda la douce voix d’Isabelle qui avait en tête tous les mots de Quichottine et ne pouvait imaginer un seul instant qu’elle aurait accepté de se faire l’avocat d’un assassin.

— Pourquoi l’aurais-je fait ? Vivant, je pouvais l’envoyer à ma Dame Dulcinée… ou en tirer rançon. Mort, à quoi m’eût-il servi ? Je me suis enquis de sa personne et de son rang, et j’ai appris qu’il s’agissait d’un étudiant, d’un bachelier, répondant au nom d’Alonzo Lopez.

— Et alors ? Et alors ? Et alors ?

— J’ai ensuite appris qu’il accompagnait un défunt, et que celui-ci étant mort de fièvre maligne je n’aurais point à m’inquiéter du meurtrier et de lui courir sus afin d’en tirer vengeance…

— Vous l’auriez vengé ?

— N’est-ce pas le rôle d’un chevalier que de réparer les torts ? Là, je ne pouvais que me rendre puisque le meurtrier était Dieu en personne !

— Là, vous allez trop loin !

— Mais non, vous voyez bien que c’est écrit !

Le chevalier tira d’une montagne d’écrits divers qui attendaient sur le bureau le retour de Quichottine, le livre où Louis Viardot avait traduit ses aventures.

Il cita les mots que le traducteur avait alors donnés au héros :

(…) le Seigneur m’a dispensé de la peine que j’aurais prise de venger sa mort, si tout autre l’eût tué. Mais, étant frappé de telle main, je n’ai plus qu’à me taire et à plier les épaules, ce que je ferais s’il m’eût frappé moi-même.

(Don Quichotte, I, 19)

— Et alors ? Et alors ? Et alors ?

— C’est à ce moment-là que je me suis présenté !

Dans le fond de la bibliothèque, un inconnu se mit à fredonner un air que tous connaissaient.

Le Chevalier n’en prit pas ombrage. Il inclinait la tête d’un air heureux, comme si l’inconnu avait trouvé les mots pour dire ce qu’il ressentait à ce moment précis, entouré de tous comme il l’était…

« […]
Oui c’est moi, don Quichotte
Seigneur de la Mancha
Pour toujours au service de l’honneur
Car j’ai l’honneur d’être moi
Don Quichotte sans peur
Et le vent de l’histoire chante en moi
D’ailleurs qu’importe l’histoire
Pourvu qu’elle mène à la gloire… »

(Jacques Brel, L’Homme de la Mancha, 1968)

Il rêvait… Pourtant, comme la nuit tombait et que chacun devrait rentrer chez soi, il reprit le livre et se perdit dans sa lecture.

(à suivre)


L’image, « Sisters and a book« , 1997, est de Iman Maleki, peintre réaliste Iranie
n contemporain.
Je l’ai empruntée à un diaporama magnifique que m’a adressé Muad.
N’ayant pas pu demander l’autorisation au peintre pour cet emprunt, je retirerai l’image à sa demande s’il y a lieu.

54 commentaires à propos de “Le chevalier à la triste figure (1)”

    • Merci… cela me fait plaisir, mais tu ne devrais pas. C’est moi qui suis très touchée par ta présence !

  1. Ah, ce poids de l’Eglise…
    Ce n’est que bonheur de t’entendre raconter, Amielle.
    Gros bisous

  2. Bonsoir Quichottine,je suis toujours surprise de voir tous les mots et idées qui sortent de ta tête,as-tu fait le test du Héro,tu devrais le faire…
    Bonne journée et À bientôt.

    • Je suis allée le faire, pour te faire plaisir.

      Je suis assez surprise du résultat… parce qu’en ayant mis ce que j’ai mis… le plus sincèrement du monde (pas athlète, pas acrobate… en fait rien de très intéressant… ) voilà mon résultat à moi… (sourire)

      Votre résultat:
      Tu es Superman

      Superman
      80%
      Iron Man
      70%
      Batman
      60%
      Supergirl
      60%
      Robin
      60%
      Green Lantern
      55%
      Spider-Man
      50%
      Hulk
      50%
      The Flash
      40%
      Catwoman
      40%
      Wonder Woman
      35%
      Tu as quelques manières,beaucoup de bonté.
      Tu es fort et tu aime aider les autres.

      Cliquez ici pour réaliser votre TEST SUPER HERO…

      Je n’aurais jamais cru !!! (tu y crois toi ?) :D

      Gros bisous, Nadia !

  3. Les voyages avec Toi et DonQuichotte sont très agréables,on peut rêver;.et si,en plus,Jacques Brel se joint à nous…que désirer de plus?

  4. il y a un beau soleil, une musique douce, classique m’accompagne et voilà que je pars bien loin , dans le pays de don quichotte, brel est de visite, je le salue respectueuse et admirative et voilà qu’il me faut repartir vers le reste de ma journée  qui comment en douter sera belle.

  5. je suis, comment dire, scotchée par ce que je viens de lire 🙂 je dois reconnaitre que même venue plusieurs fois sur ton blog, je n’avais pas encore pris le temps de te lire tout entier, enfin je veux dire un billet complet, car je survolais tes billets… mais là j’ai pris le temps et je dois dire que tu as un sacré talent d’écriture et de narration !!!
    Bravo !
    je reviendrai c’est sur mais le problème est qu’il faut du temps pour te lire et je n’ai pas toujours ce temps 🙁
    Bonne journée

    • Je crois que cela arrive à beaucoup, de survoler sans lire… et, parfois, l’on s’arrête un peu.

      Merci de l’avoir fait aujourd’hui.

  6. Comme diraut Cervantes « leyendo vuestra historia, el melancólico se mueva a risa, el risueño la acreciente, el simple no se enfade, el discreto se admire de la invención, el grave no la desprecie, ni el prudente deje de alabarla »

    • Merci… pour cet extrait du prologue de Don Quichotte :

      « Tâchez aussi qu’en lisant votre histoire, le mélancolique s’excite à rire, que le rieur augmente sa gaieté, que le simple ne se fâche pas, que l’habile admire l’invention, que le grave ne la méprise point, et que le sage se croie tenu de la louer. »

      Merci, Twinkle !… je vais essayer…

  7. A vaincre sans péril,
    On triomphe sans gloire…
    Que dieu écarte le péril,
    N’y laisse que désepoir…
    Don Quichotte le Fébril,
    S’en remet àl’histoire …

    Puisque servante teste …

    Bravo Quichottine !…

    Bises des farfadet 

  8. Alors là je reste sur cette photo splendide…elle résonne forcément car je suis avec mes deux petites filles en ce moment…jamais de hasard…

    Bisous

    • Ce n’est pas une photo… c’est un tableau fantastique. J’adore ce peintre et ce qu’il fait. Tu es allée sur son site ?

      Pas de hasard… rien que des rendez-vous.
      Cette image me parlait tant !

      Bisous pour toi.

  9. Il s’en tire pas mal, je regrette d’avoir douté…. ;)
    mais tu vas peut-être le désespérer si tu t’absentes trop longtemps à le laisser faire ainsi… même avec le grand Jacques comme aide précieuse, il peut fléchir juste parce que ton regard sur lui, toute ta tendresse, va lui manquer.

    Je dis ça, mais il va bien finir par t’apercevoir, juste là, assise dans un coin un peu plus sombre, et tu souris.

    • Ne t’en fais pas… je ne crois pas qu’il va pouvoir s’en tirer comme ça longtemps… Il s’essouffle tout seul… Il lui faudrait votre aide !

      … Je ne suis pas vraiment là, il le sait. C’est pour ça qu’il essaie de tenir.

  10. wha, j’en suis toute tourné boulé … 8| Mais je suis je suis… ;)

  11. Pour une fois… sourire… j’ai lu d’une traite sans passer par les liens… je reviendrai! 😉
    Il raconte pas si mal Don Quichotte… qui a douté de lui? sourire…

    • Tu as bien fait… il fallait lire ainsi, et puis, après, si tu en avais le temps, cliquer sur un lien au hasard. :D

      Personne n’a douté… surtout pas moi ! sourire…

      Merci, Mahina

  12. Coucou Quichottine, quel plaisir de te suivre dans ces « errances » si sympathiques.
    Désolé d’avoir bousculé Michka et d’avoir manqué de faire choir son APN. Heureusement que Sylviane veillait au grain.
    Gros bisous et très bonne journée,

    • Ne sois pas désolé… Il n’y avait qu’à toi que je pouvais confier ce rôle. Je savais que si elle n’y arrivait pas, toi, tu pourrais le rattraper !

      Merci Muad…

  13. Tu es unique!
    C’est hyper sympa et génial de faire participer tous les blogopotes à tes histoires

    • Tous… ? Je vais essayer de donner un rôle à chacun mais c’est un peu difficile… tu vas devoir m’aider ! :D

      Merci, Kri !

  14. Bonsoir ma Quich’
    Plus je te lis, et plus tu me stupéfies !
    Un anodin com te sert de tremplin à un article magistral
    Bonne Madame la Docteur des mots ;-))
    Bises ma Quich’

  15. merci pour toutes ces découvertes ! Don Quichotte doit être heureux dans ta bibliothèque au milieu de tous ces blogopotes
    bises

    • J’essaie qu’il le soit… Ce n’est que la reprise. Il faut lui donner sa chance !

      Merci à toi, Azalaïs !

  16. Caramba!
    Quichottine!
    Je t’apporte la lueur
    de ce feu de bois

    continue à nous dire……. » />
  17. Je vois bien Don Quichotte s’attaquer à Dieu. Sachant qu’il avait déjà fort à faire avec tous les moulins qui parsemaient sa route

    Il n’allait pas non plus s’en prendre à tous les clochers.

    Une vie n’y suffirait pas! Une seule Quichottine non plus à moins qu’elle ne fût (à l’image de cette oeuvre) immortelle

    • Tu vois, Alphomega, il s’est attaqué à tout ce qui voulait lui prendre sa liberté.

      Merci pour ces deux images… j’aime beaucoup !

      Et, tu as raison aussi, Quichottine n’y suffira pas !

      Gros bisous…

  18. Je ne connaissais pas ce texte du grand Jacques,une belle découverte merci 😉

    il commence a être bien entouré ton amoureux si triste sans toi , bon je me tais aussi et je vais écouter la suite ^^

    bises du jour