Quand il faut y aller…

Je ne t’écrirai plus…

Une phrase sur la dernière page. Quelques mots anodins qui pourraient résonner comme une menace, ou un regret.

J’essaie d’imaginer une explication.

Je suis comme ça, moi. Je cherche toujours la petite bête, celle qui pourrait me sauter à la figure si je voulais l’éviter. Il faut que je la trouve avant qu’elle ne le fasse. C’est à peine un jeu, plutôt une habitude. Je suis conditionnée par des années de pratique.

Comment peut-on décider soudain de ne plus écrire ?

D’ailleurs, ce n’est pas ce que ces mots disent. Il n’y a pas « Je n’écrirai plus », ce serait trop simple.

L’auteur devait s’adresser à quelqu’un. Il y a une deuxième personne, un « tu » un peu indiscret.

Qui est-ce ?

Un copain ? Un camarade ? Un ami ?

Et me voilà riant devant ces termes qui pourraient suggérer une graduation, une ascension vers l’amitié. Je ris, parce qu’il n’en est rien.

Il n’y a pas de degré dans l’amitié. Elle est ou elle n’est pas.

Alors ?

Comment interpréter cette succession de mots qui me viennent à l’esprit ?

J’ai seulement changé le décor qui entourait mes esquisses de personnages.

Le premier : une cour de récréation, au lycée. Deux ombres asexuées, Jeans et baskets, T-shirts qui dégueulent, aux couleurs un peu défraîchies. La lessive Machin-Chouette n’a pas été utilisée ici. Un ballon entre eux deux, qui passe de l’une à l’autre. Mais, est-ce vraiment un ballon ? Je n’en sais rien, ce pourrait être une canette, trouvée là, sur le sol. Un objet pour détourner l’attention des spectateurs. Le bruit de la boîte qui roule, qui se heurte à un pavé mal disposé, les fait sursauter. Les autres ne verront pas le geste rapide qui efface une larme. Larme de rage.

Dix ans plus tôt,
c’est un « J’te cause plus ! » qui aurait retenti
dans la cour de la maternelle.

Le second décor est planté : un atelier. Bleus de travail, machines qui assurent la basse continue dans notre partition du jour. Ce pourraient être les rotatives d’une antique imprimerie. N’importe quoi, du moment que le bruit soit régulier, obsédant, comme les percussions du Boléro de Ravel. Ce sont deux camarades. Ils ont usés ensemble leurs fonds de culotte sur les bancs de la communale. Depuis peu, ils ont la carte du Parti. À la fête de l’Huma, ils entonnaient ensemble l’Internationale. Et là… Un rouage qui grince, l’huile qu’on n’a pas voulu trouver. Ils sont adultes maintenant. Ils ont chacun trouvé leur voie… voix ?

Vingt ans plus tôt,
le « J’te cause plus ! »
n’aurait duré que le temps d’une larme.

Un troisième décor s’impose. Il efface les deux autres à coups de grands sentiments. Un savant clair-obscur, deux personnes qui devisaient devant une baie vitrée. Dehors, un ciel de tourmente, des éclairs qui illuminent de temps à autre la pluie qui bat sur les carreaux. Nappe damassée sur la table, quelques fleurs, et un photophore où survit la flamme tremblante d’une bougie. La table est desservie. Ils sont vêtus de noir. Gros plan sur les mains. Il suffirait de presque rien pour qu’elles se joignent.

Mais non.
Il y a le « Je ne t’écrirai plus »… un peu définitif, péremptoire, rageur pour l’un.
L’autre y répond par un sourire un peu moqueur, un « Nous verrons bien ! » qui reste en suspens, palpable pourtant.

Là, des mots tus.

« Je ne t’écrirai plus. » …

Des mots sur la dernière page,
un message conservé pour mémoire,
à la fin d’un petit carnet.

Texte de Quichottine

52 commentaires à propos de “Quand il faut y aller…”

  1. Aiaiaiaiai !!!!!serais-tu aussi une Sybille ???? Beaucoup aimé ces « scènes »,brèves, intenses…. Adoré le personnage qui dit  » Nous verrons bien ! » et attend encore !!!!!!!….c’est le genre de défit qui peut durer une vie ! Il suffit de riens, par exemple, de MOTS, pour faire d’une étincelle sous la cendre un brasier d’enfer……..

    • Merci… Quand je disais que ce seraient de « petits riens »… Je ne sais pas délayer !

      Merci d’être passée. (Comme ça je sais que tes monstres ne t’ont pas dévorée ! Tu avais trouvé du lait et des tartines pour apaiser leur appétit ?)

  2. Les flash-back sont traités comme des scènes de scénario . Mais pourquoi suis-je si émue en lisant ton texte ? Il est vibrant d’émotion .Très beau .

  3. Quelques mots sur un petit carnet intime… oublié dans le fond d’un tiroir… mais qui ressurgissent…pour notre plus grand plaisir…sur cette immense toile qu’est le net !!! Merci Quichott’ pour ces beaux souvenirs et cette belle plume !!! agréable journée à toi

  4. Si tu as besoin de rire, vas voir les derniers commentaires de mon article : les monstres ! Tes smylies sont fantastiques et fort utiles !!!! Rèponds-moi, si tu veux, sur mon mail : c.pichon@libero.it……..c’est plus discret, c’est mieux !….de toutes façons, le Net entier le connait ! OLE !!!!

  5. C’était un petit échange entre Germaine, la marraine de Bloggy et moi !!!!!!…je n’ai jamais compris si c’était un homme , une femme, ou une gouine-mec !!!!!Utilises mon E mail pour m’en parler car il-elle controle partout ce que je dis ou fais !!!

  6. Bien reçus tes mails !!!!essayé de te répondre mais ça me dit toujours « failed »….si tu veux, envoies sur ma poste un mail où je puisse te répondre….j’ai des trucs importants à te dire….

  7. A moi, peut-être pas, mais à nous tous… S’il vous plaît !…

    • A toi ? Peut-être un jour… Merci pour cette visite qui vous entraîne bien loin de notre Orangeraie !

  8. Une phrase qui satisfait largement notre curiosité. Car on peut tout imaginer. Cela restera un secret entre les deux interlocuteurs. Il ne sera jamais dévoilé…
    A partir de là on peut imaginer des vies qui se rejoignent ou se quittent.
    Tu pourrais écrire des romans d’aventures. 
    J’aime ton écriture

  9. C’est drôle, en lisant ton article, j’avais l’impression de te suivre à la trace sur les chemins de la vie…
    Et d’en arriver enfin à la capacité de comprendre qu’une  décision telle que « j’te cause plus » n’engage pas uniquement celui qui le dit, mais aussi celui qui l’écoute…

    Je crois qu’on ne peut interrompre durablement et honnêtement une relation que d’un commun accord…
    Alors, je partage tout à fait le ‘Nous verrons bien » que je serais capable de t’écrire, si tu osais un jour nous dire « je ne vous écrirai plus »…

    Bises

    • Je crois que je continue à dévoiler plus que ce que je voudrais de ma réalité…

      C’est vrai que pour se taire, quand on est deux, il faut être deux à le décider. la vie me l’a appris.

      Je ne me vois pas vous dire « je ne t’écrirai plus »… enfin, pas comme ça, parce que je sais que chaque fois que je l’ai pensé, que j’en ai parlé, je suis revenue sur ma décision… grâce à des personnes comme toi, qui ne croyaient pas que ce fût possible et qui m’en ont dissuadée.

      Merci d’être là, Yvon…

  10. Sais-tu ma Quichottine, que tu devrais écrire…

    Ces mots sont tellement beaux, que je retourne les lire.
    Je vais garder cette page, au fond de ma mémoire
    Et dans l’ordinateur, pour revenir le soir
    Si tu n’écrivais plus, d’aussi jolis billets
    J’en aurais au moins un, conservé à jamais.

    J’arrive d’à coté, j’ai encore des bisous
    Que je te laisse ici, puisqu’on est entre nous

    • Certains billets comptent beaucoup pour moi, celui-ci est l’un d’eux. Je suis contente qu’il t’ait plu.

      Pour ce qui est d’écrire, n’est-ce pas ce que je fais déjà ?

      Merci pour ces bisous, Philippe !

  11. ça me met un p’tit coup de blues car c tellement vrai 🙁
    big bisous 🙂

  12. Sourires! Un peu en relation avec mon post sur « André ». Pourtant que je me souviens pas que l’un ou l’autre l’ait dit un jour. Pas entre amis. Il ne faut pas confondre amis et « copains »ou même compagnons de travail. La relation est loin d’être la même.

    Bises x2

    • Je suis d’accord, Patriarch, tu es la sagesse même…

      C’est pourquoi une véritable amitié est particulière. Il semble que l’ami ait toujours été là, avant lui, rien, et aucun après envisageable. Il est, est les mots ne peuvent pas raconter.

  13. Une décision terrible que de couper les ponts, et pourquoi ?
    Si on revoyait tous les mots qu’on a dits, on saurait que ce qui compte ce n’est pas une déception  , mais les moments d’harmonie qui demeurent malgré tout

  14. Redoutables mots que sont les tiens!
    Cette histoire est si triste… c’est toujours compliqué les relations, et c’est bien dommage que celle-ci s’arrête ainsi.
    il y a parfois des gens dont on est très proches, depuis des années. Et puis, à présent, on n’a plus tout à fait les mêmes idées, chacun a évolué mais le lien est tellement fort qu’il nous est incapable de le briser ainsi. Je crois que c’est une bonne chose car on prouve qu’on peut vivre avec quelqu’un de différent et construire malgré tout quelque chose de beau.
    bisous

    • Pardon si je t’ai fait de la peine !

      C’est vrai que l’on peut construire, même avec des personnes différentes de nous… Cela n’empêche rien !

  15. Non, je te rassure, tu ne m’a pas fait de peine. J’ai juste été touchée par cette relation, parce qu’en fait, à bien y regarder, il y en a partout autour de nous, et même dans notre vie, ces gens qu’on a parfois perdus de vue, un peu tragiquement, sans réelle raison…
    bisous

    • Merci ! Je sais que parfois certains ont des réactions très fortes, et je ne veux pas rendre mes lecteurs trop tristes !

      Gros bisous à toi, Zarbifa !

  16. Bonsoir Quichotine
    A chaque fois, je choisis une page au hasard de mes errances en ton Univers et là, je tombe ici et oui l amitié ne s’achète pas et elle ne se gagne pas elle nait et grandit au fur et à mesure du chemin emprunté par deux ami(e)s.
    Quand au « Je ne t’écrirais plus » ceci est vaste, c est moyen d’échappatoire pour partir sans faire de bruit mais avec une espérance que l autre fera tout pour que l écriture revienne…
    Je ne suis pas déçue du tout d avoir découvert ton Univers Quichotine cela change des autres blog…
    Bises amicales et espère bientôt ton retour…
    A bientôt

    • Tu as très bien commenté ce billet, comme toujours.

      C’est vrai. Quand on dit cela à un ami, c’est dans l’espoir qu’il écrira, ou qu’il parlera de nouveau… Comme dans l’attente de la réconciliation. Mais ce n’est pas toujours possible.

      Merci, Maïlyse. Je suis de retour maintenant et j’ai commencé à explorer ton univers.

  17. Je ne t’écrirai plus, je ne te verrai plus, jamais…. Pourquoi prononcer ces mots justement parce qu’on sait inconsciemment qu’après un silence plus ou moins long on ne pourra pas faire autrement que de   lui écrire à nouveau, le ou la revoir pour notre plus grand malheur, des mots pour conjurer le sort…. comme une promesse que l’on se fait à soi même et pas à l’autre… Bisous

    • Je crois que tu as tout compris… C’est une promesse qu’on essaie de tenir malgré tout.

      Bisous, Martine, et encore merci d’être là.

  18. Hello Quichottine 😉 Redoutables les mots… mots qui peuvent devenir des maux… Belle écriture, j’ai aimé! Bonne semaine et bises à toâ.

  19. A propos des mots: quelqu’un m’a écrit un jour ceci: « Le temps a passé, les mots n’ont pas d’âge. Juste un regard, revoilà ton visage. » Ce quelqu’un je l’avais connu quand j’avais 17 ans et je l’ai retrouvé sur le net. J’ai répondu: « Les mots peuvent engendrer des maux… » Rien à voir avec ce que tu écris, mais, bon, j’avais juste envie de l’écrire ici…A bientôt.PS Je préfère être ici que chez orange…

    • Mais si… Qui sait ce que des mots écrits peuvent engendrer de maux quand d’autres les lisent ? à bientôt Eolina. Merci d’étre venue jusqu’ici.

  20. Ces petites scènes sont si vraies, si présentes, et j’ai eu peur un moment de la dernière, cette solennité du lieu et cette phrase comme si une dalle venait de recouvrir l’un d’eux.
    Heureusement qu’il y avait le « nous verrons bien », un éclat de rire, un avenir encore pour eux, un challenge peut-être.

    Merci de m’avoir guidée jusque là.
    Je t’embrasse Quichottine.

  21. J’ai le temps de tout lire… je suis en vacances 🙂

  22. ce qui m’interpelle, ce n’est pas le ton préremptoire du « je ne t’écrirai plus » mais les points de suspension qui suivent.
    Et comme, moi même, j’use et j’abuse de ces fameux points de suspensuin, peut-être pas à bon escient toujours mais toujours avec une idée derrière la tête qui s’exprime par eux, alors, je me dis que le « je ne t’écrirai plus… » attends qulquechose, la lecture entre les lignes, ou la lecture de ces points là….
    Bisous du jour!

    • Les points de suspension attendent toujours une lecture, que ce soit des mots que l’on n’a pas dit, ou de ceux que celui qui écoute (ou lira) y mettra.

      Bisous aussi, Mahina. Merci d’être là

  23. Je sais que tu écris, c’est du second degré
    Tu sais bien qu’avec moi, toujours un sens caché
    Moi c’est avec les mots, que je fais des bisous
    Ce genre de cadeaux, semés un peu partout.

  24. ils ont passé tant d’années ensemble….. il n’y a pas une suite… lui a t il écrit à nouveau ? je l’espère… ce serait trop dommage d’arrêter là après tout ce temps..
    bizzzzzz

    • L’histoire finit ici… mais, tu peux imaginer une suite à ton idée, tout est possible.

      Merci, Bidulette