Chapitre 3

Ses yeux parcouraient la pièce et s’attardaient ici ou là. Son bureau n’était pas le plus important pour elle. Pourtant, un visiteur attentif aurait pu en apprendre beaucoup sur sa personnalité, rien qu’en le regardant.

Ses dossiers… si bien rangés !

À gauche, prêts à être emportés par le coursier qui passerait tout à l’heure, les « affaires classées », les manuscrits qu’il faudrait rendre à leurs auteurs parce qu’ils y avaient joint une enveloppe pour le retour. Bonne idée ! Ils pourraient au moins en faire du feu !

Elle haussa les épaules. Bien sûr que non, les auteurs n’en feraient pas du feu. Ils voulaient simplement récupérer leur manuscrit. Mais à quoi cela servirait-il ? Refusés ici, aurait-ils plus de chance ailleurs ? Elle pensait aux lettres d’accompagnement, toujours les mêmes. Il fallait dire à l’auteur éconduit que son œuvre avait retenu toute l’attention du comité de lecture… mais que la ligne éditoriale actuelle ne permettrait pas son édition. Excuse…
Rien que du vent !

À droite, sur deux piles différentes, les manuscrits à lire ou à relire, le premier tri fait. Tout cela était trop bien rangé et révélait son manque de fantaisie, son goût de l’ordre.

Réussirait-elle un jour à se dégager de l’emprise d’une éducation qui l’avait conduite à penser que le travail était quelque chose d’important, qu’il fallait s’y atteler, sans tarder, et le réaliser le mieux possible, en y mettant tout son cœur ?

Elle était jeune encore, elle pourrait changer…

Jeune ?

Elle se regarda dans le cadre d’une photographie qui était posée là, depuis déjà quelques années. On y voyait un écrivain, très connu aujourd’hui, lui donnant l’accolade à l’occasion de la remise de son premier prix littéraire. Elle avait été désignée pour le lui remettre. Elle présentait mieux que le directeur de collection de la maison d’édition organisatrice du concours.

Elle revit la scène. Elle, sur l’estrade, remettant un chèque pas vraiment conséquent à un jeune homme hagard, un peu ébouriffé et dont les yeux clairs exprimaient la surprise d’avoir réussi à être distingué parmi tant d’autres. Lui, il l’avait regardée, il lui avait souri. Ce qui importait, ce n’était pas le chèque, mais la possibilité qui lui était donnée d’être enfin publié chez l’un de meilleurs éditeurs pour la jeunesse. C’était la porte ouverte au succès. Il le savait. Il l’avait embrassée. C’était une première fois pour elle. Les autres, d’habitude, essayaient de trouver ses lèvres. Lui, il l’avait attrapée par les épaules et il avait déposé une grosse bise sur chacune de ses joues, comme un vieux camarade, un copain de lycée. Elle en avait gardé pour lui une admiration un peu tendre et découpait régulièrement dans les journaux les articles où l’on parlait de lui et de son ascension fulgurante. La chemise où elle les rassemblait grossissait de jour en jour… ou presque !

Elle secoua la tête… L’heure n’était pas à la rêverie.

Sur le mur près de la porte, dans un autre cadre bon marché, un diplôme d’études littéraires.

Elle l’avait obtenu après la présentation d’un long mémoire sur la littérature enfantine. Pendant sa rédaction, elle avait suivi des stages chez plusieurs éditeurs, ce qui lui avait permis de côtoyer des écrivains mais aussi de fouiller dans les archives et de réunir un grand nombre d’informations, toutes de première importance.

Il y avait là les deux clefs qui lui avaient permis d’obtenir le poste qu’elle occupait aujourd’hui. Du travail avant tout, et un début de reconnaissance.

Les lectures et les comptes-rendus lui prenaient tout son temps. Il fallait justifier avant tout son salaire. Des réunions plus ou moins houleuses où elle devait parfois accepter qu’on la traitât en débutante, l’obligeaient à de longues préparations. Il était arrivé bien souvent qu’elle y passât la nuit.

Pourquoi ?

Que cherchait-elle ici ?

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16 commentaires à propos de “Chapitre 3”

  1. Elle y cherchait peut-être sa passion des mots… tu nous fais là un très beau protrait de femme, avec ses failles: elle range soigneusement, mais ce rangement lui permet de conserver tous les articles concernant ce jeune écrivain, tout ça parce qu’il l’avait embrassée comme un vieux copain de lycée… j’aime bien ce détail.

    • Merci…

      Je ne sais pas. Tu vois, parfois elle est très présente, parfois elle se refuse. Je ne veux pas la forcer à se dévoiler trop vite.

      Moi, je me demande qui elle est. :)

  2. j’ecris en même temps que je lis….

    « ses dossiers si bien rangés »…on dirait une bibliothécaire… sourire

    « que cherchait-elle? »…Que cherche-t-on dans la vie…? Pourquoi prend-on tel chemin ou tel autre?….

    Quichottine…j’attends la suite!

    • Elle pourrait l’être, mais elle est en amont de la bibliothèque. Sans elle les livres ne pourraient pas naître.

      Elle cherche à trouver son chemin. C’est difficile.

      L’histoire doit s’écrire peu à peu. Sois patiente.

  3. Deux baisers sur chacune des joues égalent: sincérité…
    Bonne journée Quichottine.

  4. Des questions …

    Pourquoi fait on certaines choses , pourquoi perseverer vers ce qui a priori n est pas gratifiant ni reconnu .

    Abandon d ambitions , malgre le potentiel , acceptation de l humilite qui a terme amene a la routine et peut etre la transparence .

    Pourtant un milieu magnifique , celui du livre , peut etre est ce pour cela …

    Bises

    • Peut-être parce qu’on y trouve un peu de ce que l’on attend.

      Mais, tu as raison, il y a un moment où elle a sans doute abandonné. Reste à savoir pourquoi !

      Parfois, je me demande si le milieu du livre est aussi beau qu’on l’imagine…

      Merci pour ton passage, Vagabond. Je suis contente que tu sois là.

  5. juste une question « technique: tu enleveras ce com apres…Comment fais-tu pour ne pas avoir de date et heure ds tes réponses?
    Je viendrai voir ta réponse plus tard…je file! Bonne journée

    • Juste une ligne a ajouter dans tes feuilles de CSS :

       .responseOption { display:none; }


      Je le sais grâce à Maître Po. Lui, il sait tout sur les feuilles de style, c’est un pro.

  6. Lecture toujours aussi fluide, on entre dans la peau du personnage, on n’a pas envie de fermer le livre, euh, pardon : cliquer ailleurs qu’ici.