Octobre (Le Voyage, 10)

Octobre
Photographie © AA

Clément resta quelque temps dans le monastère. Il y fit retraite, comme d’autres l’avaient fait avant lui.

Il se plia à la vie monastique et à ses privations. Elles n’étaient rien à côté de ce qu’il s’était infligé durant le mois précédent.

Là, il ne mangeait guère mais de façon régulière. Il dormait peu mais il se couchait à heures fixes et le lit était plus confortable que le sol pierreux de ses haltes précédentes.

Il retrouva la joie de se lever, de procéder à des ablutions matinales et de pouvoir changer régulièrement de vêtements.

Il aidait, c’était un échange de bons procédés. Il s’était attaché à son visiteur du premier matin, le suivait dans ses tâches, l’accompagnait dans ses oraisons. Les moines avaient pris l’habitude de ce drôle de couple qui partait après matines vers la bergerie, lâchait les brebis vers l’alpage dans un brouhaha de sonnailles et les suivait dans les prés, cahin-caha pour l’un, clopin-clopant pour l’autre.

Ils n’allaient jamais très loin. Ils enfermaient les bêtes dans leur enclos électrifié et s’installaient pour de longues discussions sous un arbre en attendant qu’il fût l’heure de rentrer.

Le vieux moine s’était entiché de Clément. Il avait senti que sa présence ne devait rien au hasard. Il s’était arrogé un rôle d’ange gardien, de mentor auprès de ce jeune homme qu’il sentait prêt à croire ou à désespérer.

Clément avait raconté son histoire, ses histoires en fait. Il avait fait de sa vie un nouveau conte que le vieil homme écoutait le plus souvent sans rien dire. Clément meublait alors le silence en lui livrant les bribes d’un récit décousu où se mêlaient étrangement des souvenirs de son amour et les histoires qu’il narrait près du lac.

Il présenta son amie, celle qu’il avait délaissée, mais aussi la fourmi de la forêt, la marmotte qu’il avait croisée et qui s’était enfuie, les fleurs roses et bleues qu’il avait failli cueillir, mais qu’il avait finalement épargnées car il refusait de se montrer cruel.

Il évoqua les chapelles et la Vierge Marie qui lui faisait tant de peine, il décrivit son voyage et le ciel si changeant des mois passés à ne plus savoir où aller.

Le moine quant à lui écoutait. Il regardait Clément et se disait qu’un jour prochain il partirait. Il ne resterait pas au monastère. Il portait trop d’amour en lui pour ne pas le partager avec d’autres. Une femme ? Peut-être. En tout cas, Clément ne serait pas moine, c’était sa seule certitude.

Ce qu’il fallait, c’était lui redonner envie de vivre et de rêver.

Lorsque Clément se tut enfin, après des journées pendant lesquelles rien de ce qui l’entourait ne semblait plus avoir d’importance, ils restèrent tous deux silencieux.

Le moine pensait que les paroles de Clément n’attendaient pas vraiment de réponse. Il avait seulement besoin de s’exprimer, de raconter tout ce qui lui tenait à cœur.

Le mois d’octobre s’acheva sans que Clément ne fixât le moment de son départ. Il s’était mis aux différents travaux ménagers. Le plancher de la chapelle reluisait et une bonne odeur de cire et de fleurs fraîches attendait les moines lorsqu’ils se rendaient aux vêpres après avoir vaqué à leurs occupations habituelles.

Clément fleurissait l’hôtel consacré à la Vierge Marie. Il avait disposé près de l’icône silencieuse des vases où s’épanouissaient les couleurs et d’où s’échappaient les parfums tendres de la prairie.

Travailler dans les champs, épierrer le potager, ramasser quelques fleurs était devenu son quotidien. Il n’y avait plus de question. Il avait trouvé seul ses réponses.


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