Dans la mansarde

Ce soir, je me suis enfermée dans la bibliothèque (ne croyez pas que la prison me manque)… J’ai fermé les lourds rideaux de velours bleu, pour qu’on ne puisse pas voir la lumière. J’ai donné aux lutins de l’ouvrage, pour qu’ils ne me dérangent pas. Ils ont fort à faire. Ils doivent trier d’ici mercredi tous mes livres pour enfants ! Et, vous ne le savez pas encore, mais ils sont nombreux sur mes étagères !

J’ai encadré un nouveau tableau que j’accrocherai au mur de la bibliothèque samedi… Après, j’ai sorti avec précaution le livre, celui que j’avais rangé pendant les fêtes… Je ne voulais pas l’abîmer. Et je crois que j’ai bien fait. Il y a eu tant de monde pendant que je n’étais pas là !

J’ai  commencé à préparer… Pour tout à l’heure, lorsque vous viendrez  m’écouter  vous raconter l’histoire de mon chevalier errant.

Je l’avais délaissé… alors que j’avais à peine entamé le chapitre dix-sept ! Vous vous souvenez ? Don Quichotte venait d’être roué de coups, assommé, par le muletier dans la mansarde, après qu’il eût osé lutiner Maritorne tout en lui faisant part de sa décision de ne pas la toucher !

Pauvre chevalier… et pauvre Sancho ! Ni l’un ni l’autre ne pourront conclure…

Par contre, c’est à ce moment-là qu’il affirme à Sancho que celle qui était là, avec lui, dans son lit, est en fait une princesse, et que c’est un vilain « Maure enchanté » qui a empêché de tirer profit du don qu’elle voulait lui faire…

(Don en nature bien sûr !)

Un Maure enchanté ? Qu’à cela ne tienne ! Quand l’archer revient, porteur de la lampe qu’il a patiemment allumée au feu qui brûlait dans l’âtre de la grande salle de l’auberge…

(Dieu qu’elle est longue, la description de certains actes qui sont aujourd’hui si simples ! Vous imaginez quelle économie de mots l’on fait en appuyant sur un interrupteur ?)

… Donc, lorsque l’archer revient, Sancho demande s’il ne s’agit pas là de cet être maléfique qui viendrait céans pour achever son ouvrage…

(Il ne le dit pas comme ça,
j’ai le droit de raconter comme je veux !)

Non, je n’ai pas vraiment le droit de raconter comme je veux, je voulais le prendre, c’est tout. Ce qui est important, c’est que don Quichotte affirme à Sancho qu’il ne s’agit pas là de leur premier agresseur. Il se croit à l’abri… Mais vous savez bien que ce qui compte, dans le comique de situation, c’est la répétition des actes ou des mots !
 

En ce moment, l’archer de la Sainte-Hermandad, qui venait d’allumer sa lampe, rentra pour visiter celui qu’il pensait avoir été tué. Quand Sancho le vit entrer, en chemise, un mouchoir roulé sur la tête, sa lampe à la main, et, par-dessus le marché, ayant une figure d’hérétique, il demanda à son maître : « Seigneur, ne serait-ce pas là, par hasard, le Maure enchanté qui revient achever la danse, si les mains et les pieds lui démangent encore ?

– Non, répondit don Quichotte, ce ne peut être le Maure, car les enchantés ne se font voir de personne.

– Ma foi, reprit Sancho, s’ils ne se font pas voir, ils se font bien sentir ; sinon, qu’on en demande des nouvelles à mes épaules.

– Les miennes pourraient en donner aussi, répondit don Quichotte ; mais ce n’est pas un indice suffisant pour croire que celui que nous voyons soit le Maure enchanté. »

L’archer s’approcha, et, le trouvant en si tranquille conversation, s’arrêta tout surpris. Il est vrai que don Quichotte était encore la bouche en l’air, sans pouvoir bouger, de ses coups et de ses emplâtres. L’archer vint à lui.

« Eh bien, dit-il, comment vous va, bonhomme ? 

– Je parlerais plus courtoisement, reprit don Quichotte, si j’étais à votre place. Est-il d’usage, dans ce pays, de parler ainsi aux chevaliers errants, malotru ? » L’archer, qui s’entendit traiter de la sorte par un homme de si pauvre mine, ne put souffrir son arrogance ; et, levant la lampe qu’il tenait à la main, il l’envoya avec toute son huile sur la tête de don Quichotte, qui en fut à demi trépané ; puis, laissant tout dans les ténèbres, il s’enfuit aussitôt.

« Sans aucun doute, seigneur, dit Sancho Panza, c’est bien là le Maure enchanté : il doit garder le trésor pour d’autres ; mais pour nous, il ne garde que les coups de poing et les coups de lampe.

[Don Quichotte, I, 17]

Nous nous sommes une nouvelle fois dans l’obscurité de la mansarde, la lampe éteinte, et l’on ne peut pas dire que don Quichotte s’en tire à bon compte puisque le voilà « à demi trépané« .

Je ris… Parce que dans cette « Santa Hermandad« … cette « sainte confrérie », cette milice chargée de faire respecter l’ordre, qui, comme vous le savez sans doute, est à cette époque entièrement guidé par les préceptes de l’Église Catholique, défendue par l’Inquisition, donc, je disais que dans cette « sainte » confrérie, il y a un archer qui a tout l’air d’un hérétique

Essayez de penser à ce que pouvaient imaginer les lecteurs de Cervantès au XVIIe siècle ! Si Don Quichotte a été immédiatement traduit, c’est qu’il avait sans doute à gagner à franchir les frontières, fusse sous le manteau des contrebandiers ! Le roman de Cervantès a fait un tabac, en France, dès sa parution… et je suppose que ce ne sont pas uniquement les coups qu’il distribuait (ou qu’il recevait la plupart du temps) qui firent de son héros une célébrité mondiale.

Le romancier égratigne la société dans laquelle il vit, il se moque, mine de rien… Vous savez, c’est comme lorsque quelqu’un fait une bêtise et qu’il quitte les lieux, en regardant ailleurs, en sifflotant…

(C’est souvent comme ça
dans les dessins animés, dans les films…
Vous pouvez être sûrs que celui qui sifflotait est le coupable !)

L’ironie est ici, comme elle est sur toutes les pages… il faut seulement lire avec attention, ce que nous ferons encore la prochaine fois !

82 commentaires à propos de “Dans la mansarde”

    • Je sais que tu le feras si tu peux… Mais il serait peut-être préférable que tu te reposes un peu.
      Passe une belle journée… même si c’est sous la pluie aujourd’hui !

  1. Un petit coucou pour te remercier de ta gentillesse. Je viendrai te relire et en attendant passe une belle journée. A bientôt. 

  2. C’était une ironie bien voilée, ma foi……..à l’époque, les ennemis étaient tangibles, meme si redoutables, comme pouvait l’etre l’inquisition…….il était donc plus facile de les attaquer par écrit et d’etre entendu……

  3. Bonjour Quichottine, je te remercie pour tes coms.
    Récemment, je me posais la question suivante: Qu’est-ce qui a déclenché chez toi cette passion pour Don Quichotte?

    Bonne journée.

    • C’est vrai que je n’ai pas encore tout dit de ma rencontre avec ce roman. Il faudra que je le fasse… Merci de me le rappeler.

      Bonne journée à toi aussi !

    • Beaucoup de bien !!! Merci Fredogino, tu ne pouvais pas me trouver de meilleurs voeux !

      Excellente année à toi aussi…

  4. Ca s’affaire… ça s’organise en ce début d’année… t’as bien du courage d’entreprendre toute cette réorganisation, c’est un sacré travail !

    Quand j’aurai retrouvé ma ligne haut débit, je vais avoir du retard à rattraper ;-) 
    mais pour l’instant toujours pas de nouveau à l’horizon !!

    Quichott’ je te fais un gros bisou et merci pour tout…

    • Merci pour ta visite, Kinou… Je sais combien il est difficile d’ouvrir une page lorsque l’on n’est pas sur ADSL…

      J’apprécie beaucoup que tu sois là quand même !

  5. coucou dame quichottine, je n’aime pas  non plus abîmer un livre (c’est un objet précieux)
    bon jeudi
    bises et amitiés
    béa

  6. Alors comme ça on abuse des lutins pour être tranquille ? lol… Hé hé, ils ont du boulot en tous cas…
    Bises,

    Syl   

    • Ben oui… Il faut bien qu’ils m’aident un peu s’ils veulent continuer à habiter dans ma bibliothèque… 😉

  7. Mieux vaut que ce soient les Lutins qui bossent , parce que moi…je me tiens une flemme de première ! Amicalement  :-))

    • Tu n’es pas la seule… Euh… J’ai dit ça, moi ????

      (alors fais semblant de ne rien avoir entendu !)

  8. J’ai lu et pas mal ton histoire…merci encore pour ta gentillesse et passe une bonne soirée..je reviendrai te voir….

  9. Je crois en effet, que mine de rien, Don Quichotte, tout comme Cervantès, a un petit côté ironiquement subversif ! En tout cas c’est chouette, ce nouvel aperçu. Je me plonge peu à peu dans ta blogosphère que j’ai bien récemment découverte et décidément je crois que je vais prendre un malin plaisir à y revenir ! ! !
    Bonne soirée Quichottine et à bientôt !

    • Ah… c’est vrai ? Je n’avais pas fait attention ! Ce sera donc une super année pour ceux de ma bibliothèque… et donc pour moi 😉

      Merci Thierry ! Bonne année à toi aussi…

  10. Comme tout le monde, je connais Don Quichotte… de nom, mais je n’ai jamais lu ses aventures…

    Malgré ma discrétion, toujours cachée derrière mon appareil photo dans ta bibliothèque, je suis assez curieuse, toujours à l’affut de nouvelles découvertes.

    P’t-être bien que je vais essayer de trouver le livre, le faire murir un peu et le lire quand je me sentirai prête…

    A très bientôt Quichottine

    ;O))

  11. Ce qui est suggéré « mine de rien » est souvent plus fort que ce qui est affirmé et notamment dans la critique. BIses

  12. Je lisais un peu tous les commentaires sur Don Quichotte. Et bien moi je ne vais pas acheter ce roman, ni le lire d’ailleurs, je vais caler dans ta bibliothèque et continuer de t’écouter raconter l’histoire. C’est bien plus sympa avec tes explications et tes remarques. Grosses bises et passe une belle journée.

    • C’est tout gentil, ça !!! Merci… Quand j’aurai fini de te le raconter, tu le liras et après tu viendras me dire que ce n’était pas tout à fait conforme… et nous rirons tous deux !

      Tu sais, je l’ai écrit dans le bas de page de mon blog : « ici vous n’aurez que l’ombre de mes livres »…  j’en donne une image, tu pourrais en avoir une autre.

      Belle journée à toi aussi

  13. Il est temps de rajouter l’electricité dans cette maison car à chaque fois les personnages en profitent pour se battre.
    Tu en as de lachance d’avoir des lutins, il m’en faudrait aussi pour faire le tri de touts les photos que j’ai prises ces temps-ci.
    Santounette

    • C’est vrai que ça peut aider… Quant à l’électricité, je vais voir si c’est vraiment nécessaire… j’aime tellement la lueur des bougies !!!

  14. Don Quichotte ne finira jamais de nous surprendre. De continuer d’envahir la pensée. Le romancier avait de quoi égratigner la société dans laquelle il vivait. La dérision a une bonne place ici.
    Il en a usé largement…
    J’aime bien la chute que tu en fais… et je revois certains dessins animés où le trouble fête s’éloigne en sifflotant.
    On imagine et on voit lorsque tu nous emportes dans tes pages…

    • C’est vrai qu’il faut que je reprenne mon Don Quichotte

      J’aime bien le lire avec vous !

      Merci de m’y ramener…

  15. Un passage très rapide car je manque de temps. Je reviendrai lire la suite des aventures de Don Quichotte.
    Passe une belle journée. Je t’embrasse.

  16. Un petit bonjour Quichottine. Je suis un peu paresseuse ces temps-ci… J’ai été un , voire beaucoup, secouée les derniers jours de décembre… Les virus traînent … Dommage que tes lutins n’étaient pas chez moi… Ils m’auraient sûrement guérie rapidement…
    Bone journée. A bientôt.

    • Je ne sais pas, Eolina. Les lutins ont bien moins de pouvoir qu’un bon médecin.

      J’espère que tout va bien maintenant pour toi. Bonne journée à toi aussi.

  17. Bonjour Quichottine, me voilà replongée dans Cervantès.. un vrai bonheur avec tes mots autour de ce passage du livre.. j’adore..
    gros bisous et bonne journée
    chantal

  18. Bonjour de Chine,lire tes articles est toujours un plaisir, merci, bisous , bon jeudi bye
  19. Merci de nous rapprocher un peu plus près des étoiles…. Merci.
    Mais Maritorne prend souvent un autre visage,voici celui qui me fut jadis inspiré :


    Toi, la Maritorne, sale, laide et puante.

    Toi, la repoussante,
    Toi, qui fut vénérée.
    Toi, la vénérienne
    Qui pète et rote à la table des Dieux.
    Regarde-toi, misérable vermine,
    Regarde-toi, malade de tes hôtes.
    Regarde autour de toi,
    Tes soeurs sont mortes étouffées.
    Je t’en supplie, soigne ton image,
    Des champignons polluent alentours,
    Tes cheveux tombent sans repousses,
    Ta blouses est bouffée aux mythes,
    Ta robe est déchirée.
    Toi la maîtresse,
    Toi l’élue, tu te laisses emporter.
    Regarde, la mort approche
    A califourchon sur Pégase.
    Le jeune Don Quichotte à fait la manche aux étoiles,
    Il est puissant maintenant.
    Puissant et revanchard !
    Prend garde Maritorne,
    Le grand torero va dire sa sentence.
    Prend garde ma terre,
    Les Dieux sont en colère.
    Prend garde ma douce,
    Prend garde aux Dieux qui se courroucent.

    Bisous,bises et baisers…………Piotr, homme de l’être

  20. Oui je me souviens de ce roman de CERVANTES…………je pense qu’en cherchant bien je dois l’avoir dans ma bibliothèque – aujourd’hui un peu de tristesse dans mon coeur, une amie de mon blog Orange est décédée ce matin…
    amitiés Mamy ANNICK

  21. Sympa ces greniers ou mansardes! de beaux souvenirs!

    Bonjour, bon jeudi , bises et merci pour tes coms .

  22. Pffffffffff. Y’en a qui ont de la chance d’avoir des lutins… Moi, j’ai que Bernardo pour m’aider un peu. Et que pour écrire des chansons de geste en puce.

    Je te remercie pour les passages que tu fais sur mon blog. Je te souhaite une bonne année 2008. Affutons nos épées ADSL, hombre, lol.
    Bises señorita
    Cavalier

    • Merci, Cavalier… C’est bien d’avoir un Bernardo.

      Très bonne année à toi… et merci pour ce message souriant. Tu me diras comment affuter nos épées ADSL… parfois j’ai bien du mal avec la mienne !

      Caballero

  23. Sais-tu que j’ai un exemplaire de Don Quichotte dans ma bibliothèque? En fait cet ouvrage m’impressionne, j’ai peur de ne pas arriver à le lire…
    J’ai commencé toutefois car tu as aiguisé ma curiosité.
    Je finis le dernier Pennac, un roman de Contrucci (auteur marseillais), le livre de la fille de Gabin sur son père et je me plonge plus sérieusement dans le récit de Cervantès.
    Bonne soirée.

    • Non, je ne le savais pas… mais tu sais, tu n’es pas obligée de tout lire à la fois !
      Bonnes lectures, Val !

  24. Je viens de lire les commentaires comme je le fais parfois quand j’ai un peu de temps. Eh oui, les jours se suivent mais ne se ressemblent pas et j’ai un peu plus de temps qu’hier. Je constate, ouf, que je ne suis pas la seule à avoir négligé cette lecture de Don Quichotte dans mes jeunes années (et tu t’en doutes, c’était hier, lol). Finalement, comme le dit Ruegy, je vais me contenter (dans un premier temps) de savourer à chaque fois que tu nous fais la lecture, avec intégration de tes petits mots. Je me régale. C’est un vrai plaisir. Ensuite, je me mettrai en quête de cet ouvrage que je rangerai dans ma bibliothèque et que je lirai petit à petit. Forcément, dorénavant, Don Quichotte, en plus d’être associé à Cervantès, me fera penser à Quichottine. Impossible de faire autrement. Lol.

    • C’est vrai que ce ne sera pas forcément évident d’oublier ma propre lecture… Mais, dans la mesure où je ne raconte pas tout, tu feras forcément des découvertes… tu verras.

      Merci de bien vouloir continuer à me suivre pas à pas, en attendant !

  25. oui lisons avec ironie c’est plus aisé 
    bisous /IRIS

  26. Quel bonheur de retrouver avec toi Don Quichotte, même « à demi trépané » ! J’ai bien ri !
    Vrai que Cervantes inventé l’humour moderne 😉
    Gros bisous de la nuit, Quichottine

    • Je suis tout à fait d’accord… Tu exprimes très bien ce que j’ai ressenti et que je ressens encore quand je relis ces pages…

      Gros bisous de la nuit, Siratus

  27. Mouais… Mouais… Mouais… 

    Succès immédiat en France mais en Espagne ? Est-ce que la société qu’il critique a si bien pris son texte. Parce que après tout, nul n’est prophète en son pays…

    • En Espagne… non, ou sous le manteau.

      Je vois que tu es sceptique… je m’inquiète. Tu comptes aussi les bêtises que je dis ? Tu vas publier Les Perles de la Bibliothécaire ? Je te préviens qu’il y a déjà Flo qui en fais un … Florilège… 😉