Maritorne

J’ai hésité.

Je dois dire que c’est plus facile de recopier un texte que d’essayer d’y faire entrer ceux qui sont un  peu rétifs.

Hier, nous avions laissé don Quichotte à un moment où, malgré ses belles pensées, toutes fidèles à Dulcinée, il devenait entreprenant (c’est le moins que l’on puisse dire) avec la « belle » Maritorne.

Parce que le carré blanc, c’est maintenant qu’il le faudrait.
La plume devient alerte, l’image plus précise.

Je dirais que le souffle devient court (celui de don Quichotte, bien sûr !) Quant à la pauvre Asturienne elle se défend un peu, et surtout se demande comment elle va faire pour se tirer du mauvais pas… et des sales draps où elle a été attirée malgré elle !

Mais non, les draps sont rêches et un peu mités mais ils ne sont pas sales… c’était une expression comme il y en a tant dans le texte de Cervantès ! (Moi, je ne fais qu’en rajouter un peu, parce que j’aime ça, exagérer les choses pour vous les rendre plus conformes à ce qui se fait aujourd’hui…)


Don Quichotte
, ce serait presque du joli, de l’érotisme à demi-mot, à contre-jour… d’ailleurs, il fait nuit noire. C’est ce qui explique la méprise. Il ne peut pas voir la « borgnesse« , ni rien de ce qui fait la laideur de la fille. Il sent qu’il s’agit d’un être femelle, elle en a les attributs… qu’il tâte au travers de la chemise

[Je vais changer de traduction et prendre désormais celle de Louis Viardot, qui me facilite la tâche puisque c’est celle que l’on trouve sur internet en version intégrale. Je fais des infidélités à César Oudin, mais ça me fait gagner du temps, celui qu’il me fallait pour recopier les passages…]

 

Il tâta sa chemise, qui lui sembla, bien qu’elle fût de toile à faire des sacs, de la plus fine percale de lin. Elle portait aux bras des espèces de bracelets en boules de verre qui lui parurent avoir le reflet des perles orientales ; ses cheveux, qui tiraient un peu sur la nature et la couleur du crin, il les prit pour des tresses d’or fin d’Arabie, dont l’éclat obscurcissait celui du soleil, et son haleine, qui sentait assurément la salade à l’ail marinée de la veille, lui parut répandre une odeur suave et parfumée. Finalement, il se la peignit dans son imagination avec les mêmes charmes et les mêmes atours que cette autre princesse qu’il avait lu dans ses livres être venue visiter de nuit le chevalier blessé, vaincue par l’amour dont elle s’était éprise. Tel était l’aveuglement du pauvre hidalgo, que rien ne pouvait le détromper, ni le toucher, ni l’haleine, ni certaines autres choses qui distinguaient la pauvre fille, lesquelles auraient pourtant fait vomir les entrailles à tout autre qu’un muletier (…)

Nous voilà bien ! J’espère que vous admirez la description cervantine ! et que vous n’avez pas eu à vous précipiter vers vos toilettes !

Elle pourrait s’en contenter, s’en trouver charmée, touchée, ravie,… honorée ? Après tout, ce n’est qu’une servante et lui, c’est un hidalgo, le « fils de »… on ne sait pas de qui, mais il est «  » comme nous dirions chez nous à cette époque. Tout le monde n’a pas cette chance ! Elle, l’Asturienne borgne et contrefaite, dans les bras d’un chevalier, même vieux et laid… c’est une chance, non ?

Mais non, elle ne veut pas !

Maritornes était dans une mortelle angoisse de se voir retenue si fortement par don Quichotte, et, ne prêtant nulle attention aux propos qu’il lui tenait, elle faisait, sans dire mot, tous les efforts possibles pour se dégager.

Quand les femmes ne veulent pas, dans l’œuvre de Cervantès, nul ne peut les contraindre !
Vous vous souvenez de Marcelle ?
J’aurais aimé Cervantès, je crois bien, j’en aurais été amoureuse, si j’avais vécu à l’époque où il collectait les impôts dans sa province. Un homme qui donne tant de valeur à ce que femme veut

Je plaisante bien sûr ! Mais là… que se passe-t-il ?

Il me faudrait appeler à ma rescousse les commentateurs sportifs, les meilleurs… ceux qui savaient toujours distinguer le qui du qui, et appeler un chat un chat…

(Euh… qu’est ce que je raconte là ?)

Imaginez-moi un micro à la main, suivie comme une ombre par le porteur de caméra qui me précède parfois, fait des gros plans pour que vous n’en perdiez pas une miette !


La fille se débat
… même si ses efforts ne font que la rapprocher d’une issue dont chacun d’entre vous se doute !

Le muletier se lève. Et oui, il est jaloux. Il a bien entendu la fille, il a guetté les mots du chevalier, les soupirs, les désirs réprimés… il a enfin compris qu’elle se débattait. Il fait son boulot d’amant éconduit, il frappe !

Don Quichotte a la bouche en sang, c’était un coup droitefficace !

Le Yangois se saisit de l’avantage acquis… il saute sur le lit, laboure les côtes déjà bien endommagées…

Mais deux hommes sur ce lit, c’est un de trop !

Le lit n’en peut mais et s’écroule !

Badaboum !


L’hôtelier
l’entend… il appelle la servante !
Elle ne répond pas … et pour cause !
Mais elle l’entend monter… et, morte de trouille, elle court se cacher dans le lit le plus proche…
C’est celui de Sancho !
Vous savez bien… il était là tout près… prêt ? Pas vraiment. A cette heure, il s’était enfin endormi… et cauchemardait…
Lui ne veut pas de ce cauchemar ambulant et il la roue de coups…
Mais Elle

Euh… dois-je continuer ? Oui… j’ai promis  !

En ce moment, Sancho entr’ouvrit les yeux, et, sentant cette masse sur son estomac, il crut qu’il avait le cauchemar ; il se mit donc à allonger des coups de poing de droite et de gauche dont la meilleure partie attrapèrent Maritornes, laquelle, excitée par la douleur, et perdant avec la patience toute retenue, rendit à Sancho la monnaie de sa pièce, et si dru, qu’elle eut bientôt achevé de l’éveiller. Sancho, se voyant traiter ai
nsi, sans savoir par qui ni pourquoi, se releva du mieux qu’il put, et, prenant Maritornes à bras le corps, ils commencèrent entre eux la plus acharnée et la plus gracieuse escarmouche qu’on ait jamais vue […]

Comme c’est joli !… L’on peut imaginer ce que l’on veut !

Le muletier la voit… et bien sûr n’admet pas que sa « belle » et Sancho s’en donnent à coeur joie !

Cependant le muletier, voyant à la lueur de la lampe la transe où se trouvait sa dame, laissant enfin don Quichotte, accourut lui porter le secours dont elle avait tant besoin. L’hôtelier fit de même, mais dans une intention différente, car il voulait châtier l’Asturienne, croyant bien qu’elle était l’unique cause de cette diabolique harmonie. Et de même qu’on a coutume de dire le chien au chat, et le chat au rat, le muletier tapait sur Sancho, Sancho sur la fille, la fille sur Sancho et l’hôte sur la fille ; et tous les quatre y allaient de si bon cœur et de si bon jeu, qu’ils ne se donnaient pas un instant de répit. Le meilleur de l’affaire, c’est que la lampe de l’hôtelier s’éteignit, et, comme ils se trouvèrent tout à coup dans les ténèbres, les coups donnés à tâtons roulaient si impitoyablement à tort et à travers, que, partout où portaient leurs mains, ils ne laissaient ni chair saine ni morceau de chemise.

La bataille fait rage… et je dois dire que j’adore ! Il faut imaginer la scène où bras et jambes mêlés, on ne sait plus, mais plus du tout à qui ils appartiennent !

Tout le monde est à moitié nu et les bonnets de nuit volent à travers la chambre.

Et voilà… Les seules douceurs que Maritorne aura gagnées, ce seront quelques coups, reçus par erreur… Don Quichotte fait contre mauvaise fortune bon coeur, il reste malgré tout fidèle à Dulcinée et Sancho a perdu une bonne occasion de voir ce qu’il pouvait tirer de l’aventure.

Chacun retourne dans son coin quand apparaît un représentant de l’ordre en la personne d’un archer de la « Sainte Hermandad »… Vous vous souvenez ? Nous en avions parlé !

Il pense que don Quichotte est mort… appelle à l’assassin et va chercher une lampe…

C’est sur cette quête de lumière (de vérité ?) que s’achève le chapitre seize… et mon article de ce jour !

Mais l’aventure est-elle finie ?… ça, c’est une autre question !

42 commentaires à propos de “Maritorne”

  1. Là je suis écroulée de rire, sais-tu à quoi j’ai pensé en lisant ton texte… non pas pour  le texte lui-même, mais pour la cadence à laquelle tu l’as raconté…  à Léon Zitrone commentant une course de chevaux à Vincennes…  alors je reviendrai, mais cette fois, promis  je m’attacherai juste aux mots…  Bonne nuit Quichott’

    • Je suis morte de rire, amie Kinou ! Tu ne sais pas, mais pendant que j’écrivais, j’avais en tête la même personne ! Transmission de pensée ? je ne sais pas, mais ce qu’il y a sûrement c’est que nous avons dû avoir les mêmes références télévisuelles…

      Je te souhaite une belle nuit, Kinou Merci pour ce moment de rire que j’ai passé avec toi 😉

  2. Délice de ma nuit, pliée de rire encore,
    je vais rêver à Don Quichotte et à la mêlée sans nom que tu viens de nous faire vivre, Quichottine ! Il est dans de beaux draps !
    mdr
    la suite sous peu
    Hi, hi

    • Merci ma Dame de l’Océan. Lorsque les sirènes rient, tout va bien !
      Mêlée sans nom…  le championnat du monde de rugby est passé depuis longtemps…
      C’est vrai, j’aurais pu inviter un autre commentateur…

      Je suis morte de rire aussi, Siratus !
      Quelle belle nuit !

  3. Quelle melée !!!…..digne des marionettes !
    ….non, j’ai aimé l’idée que Don quichotte se fait de la servante dans le noir !

  4. c’est qu’on a tôt fait de se retrouver enceinte… je la comprends la p’tite dame toute moche qu’elle fut…. et ça finit en baston générale… dans le noir…  quel bazard ! et dire qu’avant don quichotte l’écriture ne servait jamais l’imagination mais l’histoire ou la religion…

  5. J’aime bien lire ce récit, j’ai l’impression d’entendre un journaliste sportif en train de commenter un match… de rugby mais où est donc oasser le ballon?
    Bonne soirée Santounette

  6. Cervantès, un vrai vie d’aventure …Il me semble qu’il a participé à la bataille de Lépante, et qu’il a été capturé par les barbaresques …

  7. Passage fort réjouissant en réalité… Cette description où chacun tape sur l’autre m’a bien amusée et je vois que toi aussi tu l’as bien appréciée.

    • Je suis contente de voir que ça t’a plu. C’est vrai que je m’étais bien amusée !

      Merci, Val’r, pour ce moment que tu viens de passer dans la bibliothèque.

  8. Bonsoir…J’ai vu ton cadre chez Muad..joli..je vais essayé de lui envoyer une belle photo..on verra bien..merci de ta visite..Gros bisous, et bon courage pour l’écriture..faut avoir l’inspiration et ce n’est pas donné à tout le monde !

  9. Non l’aventure n’est pas terminée……………..bonne journée. A+Isabelle

  10. J’aime beaucoup ta façon de raconter l’histoire :p Ce passage s’y prêtait particulièrement bien à mon gout.
    Biz

  11. Je suis mauvais lecteur  lol

    bises Quichottine beau travail.

  12. Ou la! c’est très épique … heu… équipe…. me voilà dyslexique maintenant…. Bonne journée Quichottine.

    • Je suis morte de rire… et moi, je ne sais pas ce que je deviens dans tout ça !

      Passe une belle soirée, Eolina0010:

  13. Ouh la la ! me plonger dans cette bataille (de polochons) m’a fatiguée. J’avais l’impression d’y être et j’avais envie d’intervenir pour expliquer à chacun qu’il faisait fausse route. Mais si j’étais intervenue il n’y aurait pas eu bataille et c’eût été me priver du spectacle imaginaire de toutes ces plumes voletant partout.
    Décidément Don Quichotte est maladroit, il ne lui arrive que des misères et il est très souvent roué de coups. Cela fait beaucoup pour un seul homme.
    Bonne journée Quichottine.
    P.S : pari tenu et Noël est encore loin. Je peux enfin dire : j’attends la suite.

    • J’imagine très bien aussi !

      Tu sais, les coups, c’est pour faire rire, comme dans les spectacles de Guignol.

      Pour la suite, tu vas devoir attendre un peu. Demain je n’ouvre pas mon grand livre, j’ai une priorité…

      Mais ne t’en fais pas, je ne le mets pas vraiment de côté !

      Gros bisous, Chana !

  14. Dans le noir… tous les chats sont gris !
    mdr
    Heureusement que Quicchottine-Cervantes-Zitrone (hi, hi) a chaussé ses lunettes pour nous dépeindre la scène- grand guignol ! Ils se frappaient les uns les autres au petit bonheur et avec acharnement…(hi, hi) Où donc est l’érotisme, Quichottine ? 😉

    Au-delà du comique de situation, l’hidalgo poursuit son rêve, chevalier servant de la Dulcinée du Toboso.
    N’est-ce pas touchant ?

    Gros bisous de la nuit, Quichottine

    • Euh… L’érotisme ? Il reviendra plus tard. Là, il n’était plus temps !

      Chevalier servant, j’adore, tu sais ?

      Parfois j’aimerais être comme Dulcinée, immatérielle…

  15. Coucou Quichottine, voici une belle image pour te souhaiter un très bon week-end.
    Je t’embrasse,

  16. Encore une fois, voici nos deux héros battus, mordus, presque morts après cette étrange partouze SM. Mais cette fois ce n’est pas du fait de la folie de notre brave Hidalgo…
    Parce que, après tout, si Maritorne(s) ne s’était pas fourvoyée – elle savait pourtant dans quel lit reposait Don Quichotte (rappelle-toi, la chandelle) – en voulant retrouver son muletier, rien de tout cela ne serait arrivé…
    Je ne vais pas me faire de copines mais je trouve que les femmes sont parfois bien étranges