Le Biscaïen

C’est fou ce que ce chapitre neuf aura eu du mal à quitter mon livre pour se montrer ici. Les mots étaient soudain timides, ils se cachaient derrière les non-dits de l’histoire.

Cervantès s’est trouvé un inconnu, un Maure de surcroît pour finir l’aventure du Biscaïen. Il en a profité pour égratigner Dulcinée au passage.

C’est vrai !

Don Quichotte ne peut pas dire du mal de la Dame de ses pensées, il l’aime comme doit le faire un chevalier errant : il se morfond, soupire, écrit, murmure des poèmes, soupire encore, et ne boit ni mange parce qu’il a trop à faire pour plaire à sa Dame, pour gagner ses faveurs… C’est comme ça qu’à l’époque on pouvait mourir d’amour pour quelqu’un qu’on n’approchait jamais…

Victor Hugo évoquait un « ver de terre amoureux d’une étoile« … dans Ruy Blas (Acte II, scène 2).

Dans les mots de Jacques Brel, aimer, c’était « aimer trop, aimer mal« … mais il aimait, « jusqu’à la déchirure« .

(Ah, mon Homme de la Mancha à moi,
il résonne encore dans mon cœur
plus de trente ans plus tard !)

Alors, bien sûr, Don Quichotte ou celui qui écrit ses louanges ne peuvent pas dire du mal de l’Aimée, impossible. Par contre, rien n’empêche Cid Hamet Ben Engeli, ou celui qui a annoté son manuscrit, de le faire…

Dulcinée, ce n’est donc qu’une saleuse de pourceaux… On aurait pu trouver mieux…

(Je n’ai rien contre
mais avouez avec moi
qu’une bergère eût mieux fait l’affaire.)

Tant pis, nous devrons bien nous contenter de l’image d’une matrone emplissant ses saloirs le jour de la saint Nicolas

(Et d’abord, je m’égare,
que viennent faire ici Nicolas
et sa légende des trois petits enfants…?)

Mais, pour que la bataille ait un sens… revenons à une damoiselle plus conforme… à l’imagination des artistes qui l’ont représentée…

  Aldonza-Lorenzo

Statue en pierre représentant  Aldonza Lorenzo (2,90m)
Federico Coullaut-Valera (1912–1989)
Détail du monumento a Cervantes (Plaza de EspañaMadrid.)

Nous voilà de retour sur le champ de bataille. Le premier choc, sanglant, coûtera à don Quichotte la moitié de son oreille gauche… (Il n’y a pas qu’à Van Gogh qu’une telle mésaventure arrive…)

[…] il ne lui fit d’autre dommage que de lui désarmer tout ce côté-là, lui emportant en passant une grande partie de sa salade avec la moitié de l’oreille, et le tout tomba par terre avec un épouvantable bruit, le laissant en fort mauvais équipage. (p.85)

Don Quichotte est furieux (on le serait à moins !) et il se rue vers son adversaire, lui assène un coup d’épée sur l’oreiller dont ce denier se protège… Sang, fuite éperdue qui se termine par une ruade… le Biscaïen finit dans la poussière, l’épée de don Quichotte juste au-dessus de lui…

Misère et damnation ! Que va-t-il se passer ?

Non… je ne vais pas vous laisser vous morfondre…Pas aujourd’hui…

(Parce que j’ai envie de lire le dixième chapitre… clin d’œil complice.)

Les dames qui sont dans le coche…

(Il y avait une dame, vous vous souvenez ?…
Sur le dessin que je vous ai montré !)

Les dames du coche (qui ne portaient pas encore de mouches) supplient le chevalier d’épargner la vie de celui qui l’a défié. Il acquiesce (je suis allée vérifier l’orthographe de ce verbe barbare…) sous une condition…

 « Certes, belles dames, je suis fort content de faire ce que vous demandez, mais ce doit être avec une certaine condition et accord, qui est que ce chevalier me doit promettre d’aller au Toboso et se présenter de ma part devant la non pareille dame Dulcinée, afin qu’elle fasse de lui ce que bon lui semblera. » (p.86)

Aussitôt dit, aussitôt fait…
(Enfin promis… ce qui n’est pas du tout la même chose, nous l’avions vu plus haut !)

Et voilà Aldonza Lorenzo redevenue Dulcinée !

  Dulcinée-Madrid

Statue en pierre représentant  Dulcinea del Toboso (2,90m)
Federico Coullaut-Valera (1912–1989)
Détail du monumento a Cervantes (Plaza de España, Madrid.)

Toutes les photos sont visibles . (clic)

44 commentaires à propos de “Le Biscaïen”

  1. Vois-tu, ce que j’adore, c’est le style de Cervantes…….ces tournures de phrases précieuses et fort dignes, ces mots de salons recherchés….où, pourtant, pointe partout la dérision et meme l’ironie…..mais…..en filigrane….

  2. Quichott’ la fouinou que je suis a essayé le lien "Monumento a Cervantes".. mais rien… erreur sur la page, je ne sais pas si c’est passager ou si le lien n’est pas bon… je reviendrai essayer…
    Ces statues sont très belles. Bonne journée à toi

    • Bon… ça remarche…et bien sûr les liens aussi… mais au cas où… je vais rajouter un autre lien, visible sur l’article.

      En tout cas, c’est génial d’avoir des lecteurs comme toi… comme ça je suis sûre de ne pas passer à côté de problèmes… ça me fait apprendre… Merci.

    • Moi, j’ai rien fait ! C’est celui qui annotait la version de Cid Hamet qui l’a écrit, pas moi (mais je suis morte de rire, je me demandais, avec Siratus, comment tu le prendrais… et là, vois-tu,, je rigole !!!)
      Je suis contente de t’avoir fait rire…

      Bonne fin de journée à toi aussi…

  3. rien que pour t’embêter je ne donnerai la réponse de mon article que demain!
    Non mais… saleuse de pourceaux… j’vous jure… j’aurais tout entendu dans ma courte vie!
    lol

    Au fait, sais-tu que Siratus est ma petite maman?

    Bon, sur ce mademoiselle je-sais-tout, je ne vous salue point

    😉

    • Vous voilà fâchée… oh ! ma Dame… Ne le soyez donc point !
      Vous savez bien, pourtant, que je n’y suis pour rien !!!!

      Mais non, Sophie, je ne savais pas que Siratus était ta petite maman, tu as bien de la chance !

      … et puis, même si tu es fâchée, je t’embrasse, bien amicalement, parce que, vois-tu, moi je t’aime bien !

    • Dulcinée est surtout « la Sans Pareille »… elle n’est pas belle, elle est la beauté, elle n’est pas jeune, elle est la jeunesse… C’est comme ça, dans les yeux de don Quichotte, il ne peut pas y avoir d’autre femme plus… avec n’importe quoi ensuite. Elle est la sans pareille, parce qu’en tant que chevalier errant il ne peut pas aimer n’importe quelle demoiselle, il ne peut aimer que Dulcinée.

  4. J’avais l’intention de lire les contes de l’Alhambra mais tu me donnes envie de lire Don Quichotte avant. Il fait partie de ces livres que je n’ai jamais lus alors que j’en ai toujours eu envie. Je te dirai ce que j’en ai pensé !!

  5. Je viens te faire un coucou ,mes probs d’ordi ne sont pas encore tout à fait résolus
    Amitie Quichottine

  6. Petit arret dans ton epopée Quichottesque.

    Tres plaisant de remonter ton histoire du debut avec 3 ans de retard.

    L’histoire narrée a ta facon suivi de tous les commentaires , c’est un vrai plaisir pour moi que de lire cet echange entre l’auteur et ses fans 😉

    Donc je laisse ma petite reflexion au passage :

    Dulcinée, Dulcinea , joli prenom dont la prononciation vous caresse d’une douceur perceptiblement « suave » ( mot mis entre guillemets car il s’ecrit de la meme facon en francais et en espagnol , et oui je fais comme Cervantes, je m’etale en longueur et m’eloigne du sujet avant de revenir sur l’histoire )

    Bref , Ces nouveaux propos quant a la condition de notre Dulcinée tendrait a la banaliser voire la vulgariser au yeux de monsieur tout le monde.

    Seulement voilà, celles et ceux qui lisent DonQuijote sont bien des reveurs alors nous ne nous laisserons pas duper par la supercherie !! Non non non , Dulcinée est bien la beauté decrite par notre chevalier fetiche, il n’y a pas de doute possible…..Euh dis donc Quichottine ? tu ne serais pas en train de tous nous endoctrinner avec cette histoire…….

    Bonnes vacances !!

     

     

    • Sourire en te lisant. Je ne fais que partager la lecture que j’en ai… et qui est loin d’être parfaite.

      En tout cas, je suis contente de voir que tu ne vas pas trop vite pour lire, parce que, hélas !) je ne pourrai pas la continuer avant septembre…

      Merci pour ton « suave » qui me plaît beaucoup.

      Dulcinée doit garder son image rêvée, aux contours imprécis, pour qu chacun puisse lui donner le visage qui lui plaît, je crois que c’est important.

      Souvent, quand je pense à elle, je me dis que ce poème de Verlaine lui conviendrait bien.

      Dulcinea est présence et absence chérie. L’espoir qui fait avancer.

       

      Merci pour tout, DonQuijote.

  7. Bonsoir Quichottine !
    Nul doute que Don Quichotte est ton livre préféré. Tu en parles avec tant de chaleur et de passion.
    Bisous,
    Martine
    PS : Je te souhaite une très bonne nuit enveloppée de chaleur.

    • Merci…

      J’aurais dû continuer à vous en parler… ce blog était créé pour cela à l’origine… mais j’ai un peu dévié.

      Tu as raison, c’est Mon LIVRE.

      Même si depuis j’en ai aimé d’autres, c’est mon premier… et qui ne conserve pas de souvenirs de son premier amour ?

      Douce soirée à toi, Martine. Bisous.

  8. Des femmes de vraies 😉
    Bonne semaine Quichottine, la mienne commence en fanfare mais je viendrai tout de même m’émerveiller chez toi.

    Bises

    • Merci Rainette… Bonne semaine à toi aussi… Je sais que tout est plus dur quand les vacances sont finies. Bon courage !

  9. Quel plaisir de te lire… oui je sais je me répète, mais je peux pas m’en empêcher… Je ne connaissais pas trop Don quichotte…
    PS Les statues sont imposantes…. Bonne journée.

    • Je trouve aussi pour les statues, mais j’ai trouvé qu’elles illustraient bien la différence entre Aldonza et Dulcinée…
      Bonne journée à toi aussi Eolina.

  10. je viens te souhaiter une bonne semaine, Quichotine!

  11. Ha, ha, la dulcinée d’hier !
    Comment va-t-elle apprécier ces belles statues ?
    Bien occupée, je n’ai résisté à l’envie de venir te lire avec bonheur, sans attendre  ce soir.
    Gros bisous 

    • Oui.. je les aime beaucoup… mais je me demande si je n’aurais pas mieux fait de les mettre plus petites dans mon article. Qu’en penses-tu ?

  12. t’as pas de paon du jour dans ton jardin…….quel domage.!!! ils sont si beaux!
    bisous doux

  13. Très beau, ton com en réponse à Véro !
    lol   …avec Sophie…qui est bien ma fille préférée !
    Et je suis ton aînée…de quelques années !
    certains jours, je raffole des points de suspension
    Gros bisous 

  14. J’aime ce mot : "une dulcinée"!
    Allez savoir pourquoi?

    • Je ne sais pas… Moi, quand je pense « Dulcinée », je pense « douceur », « tendresse »… je pense que chacun met ce qu’il veut derrière un nom. Dulcinée, c’est sans doute la douceur qui manquait à l’environnement de don Quichotte.

  15. Coucou Quichottine, quelle surprise de découvrir ces deux  magnifiques statues sur ce monument en hommage à Cervantes !
    Je te souhaite une très bonne soirée,
    Bises,

  16. Mais une saleuse de pourceaux… pour moi ça donne très bien l’idée d’une insulte mauresque justement!

    Le porc étant une viande impure pour les musulmans, j’imagine que les jambons donc les espagnols se régalaient déjà à l’époque n’étaient pas des nouritures afriolantes pour eux…

    Et quand on tue le cochon, à la méthode traditionnelle, on le saigne, donc on ne devait pas toujours être très beau après… plus le fait de vider l’animal, de préparer en saloir la viande, boudin, saucisses et jambons… avec l’gygiène qui était celle des chrétiens, ça ne devait pas sentir bon et paraître des plus aimables!!

    Non, la bergère aurait fait trop innocente face à ça!
    Il l’a compare à une femme boucher, tout simplement pour moi! ^__-

  17. Excessif et naïf à la fois. Tel est notre Don Quichotte. Mais jusqu’où ira-t-il ? Pour la saleuse de pourceaux, d’accord avec le commentaire juste au dessus. Pour un musulman, le porc…

    • Les deux, tu as raison, Roland.

      Jusqu’où ira-t-il ? Très loin…

      Pour l’insulte, je sais bien, je crois qu’il n’y en a pas de pire dans le monde musulman.

      Passe un bon dimanche, Roland, merci de continuer ainsi ta lecture…