Henri Meschonnic, rencontre

Je suis passée chez Gazou, ce jour là, et elle y montrait un poème de Meschonnic.

Ses visiteurs, l’un après l’autre, lui avaient dit dans leur message leur ignorance… ou le peu de renseignements qu’ils avaient à son sujet.

Je lui ai laissé quelques mots.

J’ai eu le bonheur de l’entendre, de le voir, de lui parler aussi, à la Fac de Cergy.

Pour moi, il ne mourra pas, j’ai lu tous ses livres, ou presque… pour un travail que je devais faire.

Un grand poète… et, c’est vrai, un excellent théoricien du langage.

http://quichottine.over-blog.com/article-12333496.html

Merci, Gazou.

Il faut que je fasse un article sur lui dans ma nouvelle bibliothèque… J’ai pour lui une admiration sans borne.

Commentaire n°9 posté par Quichottine le 09/04/2010 à 10h17

C’était vrai. En fait, je l’ai croisé plusieurs fois, suivi de colloque en colloque, par plaisir plus que par obligation, après ma première rencontre

Henri Meschonnic

C’était le 17 novembre 1999. Je découvrais l’université, côté « Lettres ».

J’avais rédigé, à l’époque, pour l’un de mes professeurs, un « compte-rendu » à la mode quichottinesque… Je l’avais appelé « Journal de l’Ingénue« … et le sous-titre « compte-rendu insolent et naïf d’un colloque » aurait pu m’attirer des ennuis si je n’avais eu l’heur d’être déjà bien trop âgée pour que l’on me tirât les oreilles ou que l’on me coiffât d’un bonnet d’âne.

C’était la première journée*… ce seront mes premières impressions.

Henri Meschonnic assène et assassine à travers son exposé « Poème sinon rien » qui est à lui seul déjà un poème. Il plaide et son plaidoyer s’écoute avec bonheur : le rythme interpelle, les phrases sont brèves et le ton vif. Il joue à nous heurter avec des citations courtes qu’il fait siennes en les assaisonnant à son idée. Un raz de marée d’évidences nous submerge. (Je suis sûre de ne pas me tromper en disant que je ne suis pas la seule à éprouver cela : je ne peux plus prendre de notes, j’ai l’impression que chaque phrase écrite m’en a coûté d’autres qui avaient autant de pouvoir.)

Avec lui, les sociologues font de la sociologie à la « ôte-toi de là que je m’y mette », ils interprètent le monde en disant qu’il faudrait le transformer et ne savent pas qu’interpréter le monde, c’est déjà le transformer. Il constate qu’il y a plus de passé que de présent dans notre présent, qu’il faut reconnaître ce qui se fait dans ce qui se défait. « C’est tout ce qu’on ne sait pas qu’on entend. », « L’amour de la poésie, c’est la mort de la poésie. », « Les choses du langage sont trop sérieuses pour qu’on les laisse seulement à la linguistique. », « Les traducteurs sont des miroirs qui ne réfléchissent pas assez. », « Les métriciens perdent pied en poésie »…

En quelques minutes, il pose son programme. Il établit une relation binaire où 1+1=tout, mais un tout où l’un des termes se substitue à la totalité. Dans la relation signifiant/signifié du signe linguistique, le signifiant disparaît et le signifié passe pour le tout. Il en va de même dans la relation forme/contenu, son/sens.

Il définit des paradigmes : anthropologique (oral/écrit, qu’est-ce qui reste de la voix, du corps dans l’écrit ? comment est enseigné la langue ? qu’en est-il des civilisations dites « orales » ?) ; philosophique (chose/mot, rapport d’où la chose serait absente. Convention/arbitraire, théorie de la connaissance/théorie du langage, réalisme/nominalisme, rapport entre l’individu et l’humanité…qu’en est-il de la réalité ?) ; théologique (ancien et nouveau testament, ce dernier étant le sens du premier, lui-même le témoin de l’erreur…) ; sociologique et politique (Sartre, l’individu associé à l’individualisme, la destruction de l’individu entraînant la destruction de la société…). Il faut échapper au fascisme de la langue. Le langage a des limites (historiques, géographiques, sociales…). Il reste à créer un « musée des traditions du langage ». Il faut rechercher ce que peut le corps dans le langage, déplatoniser la notion de rythme. Il ne faut pas confondre le système avec sa structure. Synchronie et diachronie font l’histoire ensemble et non de façon exclusive. Il faut penser l’œuvre comme un système dans le discours. Il y a toujours interaction entre une pensée et une langue. Ce sont les œuvres qui sont maternelles et non la langue. Attention au cloisonnement dans les disciplines…

Bref, il faudra que je me plonge dans ses écrits pour enfin appréhender au mieux le discours de monsieur Meschonnic… comprendre pour pouvoir critiquer ensuite ou poser des questions qui seraient moins naïves que celle que j’ai osé lui poser…

Voilà. C’est un passage de mon écrit d’alors, de ce que j’avais conservé de ses mots, afin de mieux me souvenir.

Il est certain qu’aujourd’hui je ferais sans doute autrement, que je saurais montrer ce qui était de lui, ce qui était dû à des prises de notes trop rapides, partielles.

Mais, en me relisant, je me dis que c’est aussi une façon de le présenter, lui, ce grand monsieur de la recherche linguistique, ce chercheur pour qui tout langage est poème.

Né le 18 septembre 1932, Henri Meschonnic est décédé le 8 avril 2009.

* Première journée à la fac côté « lettres »… nous sommes en 1999.

Voià l’explication que je vous devais. J’ai eu la chance de pouvoir reprendre mes études une fois les enfants « grands », avec l’appui de ceux qui m’entouraient alors. Ces rencontres m’ont permis d’aller au bout de mon rêve, de terminer ce que je n’avais pas pu faire auparavant, parce que la vie ne le voulait pas.

J’ai obtenu mon diplôme en décembre 2006, six mois avant d’ouvrir ce blog.

58 commentaires à propos de “Henri Meschonnic, rencontre”

  1. « un raz de marée d’évidences »
    mais il des évidences tellement évidentes qu’on ne les voit plus du tout et il est bon qu’un voyant nous les pointe du doigt avec insistance pour nous ouvrir les yeux

    • C’était le tout premier commentaire lorsque ce billet a été publié, là-bas, dans la nouvelle bibliothèque.

      J’ai remis tes mots ici avec ton adresse pour que tu aies la réponse.

      Je crois que tu as raison. Il y a tant de choses que l’on ne regarde plus !

      Merci, Gazou.

  2. Tu vois, j’apprends toujours dans ton univers. Je ne connaissais pas cet homme et partirai à sa recherche grâce à Gazou et toi…
    Belle journée Dame Quichottine, une envolée de bises fraîches et ensoleillées pour toi.

    • Je ne l’aurais jamais rencontré si je n’avais pas repris mes études à ce moment-là, après tant d’années !

      J’ai eu beaucoup de chance…

      Belle journée à toi aussi, Sophie. Je t’embrasse très fort.

      (Pardon d’avoir dû recopier ton commentaire ici… j’ai quasiment fini, et je vais pouvoir bientôt supprimer la seconde bibliothèque)

  3. Tant de questions soulevées par ce poète-philosophe …
    Mais la philosophie n’est-elle pas une forme de poésie ? Ou (et) inversement ?

    Merci à Gazou et à toi, Quichottine, de nous avoir rappelé la « présence » de cet homme.

    Je te lis et je pense à cette phrase d’un psychiatre dont le nom m’échappe momentanément (son nom me reviendra …) :
     » Les idées catégoriques et simples sont redoutables car elles écartent les incertitudes et épargnent l’effort de la réflexion. « 

    Bel après-midi, et bises affectueuses, Quichottine.

    • Comme pour Gazou et Sophie, je vais te prier de m’excuser pour avoir « déménagé » ici ton commentaire de là-bas.

      La poésie est une façon de voir la vie, je crois… de lui donner les couleurs qui nous semblent lui convenir le mieux. La philosophie… Oui, c’est une façon de penser la vie. En cela les deux sont proches.

      Je ne connaissais pas la citation que tu me donnes. Tout est redoutable dans les certitudes. Je le crois… mais je ne peux pas en être sûre, sinon je me contredirais moi-même.

      Belle journée et bises affectueuses à toi aussi. Merci.

  4. tu me donnes ici un grand espoir !! reprendre des études dans un autre domaine que mes chiffres qui me collent à la peau , un métier que j’ai choisi, que j’aime, mais en vieillisant on a envie de voir le monde différemment avant que la pendule dise trop tard !!!  merci Quichottine, je viens de prendre ma première leçon d’étudiante depuis ma couette !! c’est pas beau ??? bizzoux

    • Une première leçon ? OK… je t’inscris à mes prochains cours !

      Bisous et bonne fin de semaine, Pascale. Merci !

  5. Une dose de philosophie, un soupçon de rhétorique, une pincée de linguistique, arrosez le tout d’amour des lettres, d’un brin d’amour des autres et d’une pointe d’amour tout court, et vous obtenez un cocktail d’impressions à consommer très tôt le matin pour ordonner vos idées de la journée ! Je vais essayer de digérer, maintenant…

    • J’espère que les quatre journées écoulées depuis ce commentaire magnifique t’ont permis de digérer tout cela…

      Merci, Galet !

  6. Il faut une bonne dose de courage et une grande volonté, pour reprendre des études à un certain âge. J’admire ceux qui l’ont fait.

    Pour les sociologues et les philosophes la télé d’aujourd’hui nous en abreuvent et pas des meilleurs……

    Belle journée, Quichottine. Bises de nous deux;

    • Un peu d’inconscience aussi… mais ça fait tellement de bien !

      Merci, Patriarch, pour ta présence fidèle.

      Belle soirée et bises affectueuses à vous deux.

  7. Je ne connais pas, mais je suis certaine de prendre beaucoup de plaisir à le lire

    Amitiés, Flo

  8. Je suis si contente de découvrir tous ces auteurs. merci bcp. Bises de VITA

  9. Quichottine tu as eu beaucoup de courage de reprendre tes études. En lisant ton CR, je me dis qu’il n’était pas aussi insolent que cela. Il traduisait tes impressions du moment et à ce jour il serait effectivement différent. Tu as gagné en maturité et en sagesse…

    BISOUS.

    • Si je t’avais tout montré… tu n’aurais peut-être pas été de cet avis.

      Mais, tu as raison, depuis, j’ai beaucoup appris.

      Bisous, Marité. Merci.

  10. En te lisant, je pense à la personne qui nous  parlait hier de l’oralité si importante dans le chant ancien .

    Et le « décloisonnement « des disciplines ,qui est devenu à la mode à l’école..

    Tu fais bien le tour du personnage dans ce texte ,il me semble ;

    Bravo d’avoir fait ton doctorat   adulte,il faut aller au bout de ses rêves quand on peut!

    Moi j’ai fait un deug de droit quand j’étais à la Réunion en 2000/2001; je n’ai pu continuer   à cause de la maladie de mon mari.Le droit me fascinait .

     bonne semaine, bisous

    • Qui sait ? Peut-être pourras-tu reprendre un jour ?

      Mais sinon, tu auras quand même su davantage à quoi ça ressemblait.

      Merci pour ce partage, Fanfan. Douce fin de semaine à toi.

  11. je ne le connaissais effectivement pas mais vos articles à toutes les deux sont des invitations à découvrir son oeuvre !! belle journée à toi bizzzzzz 

  12. J’aime quand tu nous parles de ce grand homme et que tu nous donnes des détails sur ta vie…

    Amuse-toi bien, et bon retour.

  13. Quichottine , je te remercie d’avoir republié cet extrait éblouissant, chapeau bas cher maître ! tu nous donnes envie d’étudier , de découvrir cet auteur…je me sens petit, tout petit..;croqueur de mots.

    A+

    Bises et merci encore

    • Ne te sens pas tout petit… la grandeur d’un être ne se mesure pas au nombre de ses diplômes.

      Je n’aurais pas laissé mes articles dans un blog en perdition. Tous sont ici, certains encore à paraître.

      Je vous avais dédié ces mots, il ne fallait pas qu’ils se perdent.

      Merci à toi.

  14. Merci pour toutes ces explications, une personne intéressante à connaître.C’est admirable d’être retourné aux études après avoir élevé ta famille.

  15. En tous cas ton texte lui rendait un hommage des plus sincère,et vivace!

    Je trouve que tu as ce talent de te mettre au service de tes découvertes;le sens du regard porteur et porté par les mots de qualité…Si tous les vrais écrivains avaieent cette humilité et ce gout du partage …quel bonheur!ce serait

  16. Moi ce qu ej’aime lire dans cette page c’est : « Je suis allée au bout de mes rêves »

    J’en suis heureuse vraiment

  17. coucou, comme quoi tu vois, ce n’est que positif de reprendre ses études

    Non seulement il faut avoir du courage, pour se relancer dans les cours, et sans ça, tu n’aurais pas rencontré ce monsieur

    La vie nous réserve toujours des surprises, bonnes et bien sûr des plus mauvaises

    Je te souhaite une belle journée

    Bisous

    • Il y a de tout… J’espère toujours que les bonnes surprises feront paraître les autres moins dures à supporter.

      Merci pour tout, Corinne. Belle journée à toi aussi.

  18. j’aime ce don que tu as de te dévoiler par petites touches, l’air de rien … sourire

    excuse mon retard et mes absences, le temps s’enfuit déjà …..

    • Ne t’en fais pas… Le retard, les absences, sont notre lot à tous.

      Tu reviens, tu déposes chez toi des mots, une image, et je sais que tout va bien. Cela me suffit.

      Je t’embrasse.

  19. Zut, pas le temps de lire ton article, ce soir… Demain, dès l’aube?

    Je t’embrasse, Quichottine,

  20. c’est une sacré « bonne femme » cette Quichottine……

  21. ce qui m’émerveille le plus je crois chaque fois que je te lis, c’est la façon que tu as de tout conserver, de tout archiver, de tout ressortir de tes cahiers comme une magicienne sort les colombes de son foulard!

    Bises et bonne journée

    • J’essaie de ne pas oublier ce qui m’a semblé important… mais je ne garde pas tout.

      Bises et bonne fin de semaine, Azalaïs. Merci.

  22. Le silence est un intervalle et cet intervalle silencieux n’est  autre que la pensée qui vagabonde

    Je dirais ça, au travers de ce que tu nous laisses à lire de Henri Meschonnic.   Serait-il plus sage que je me taise, « Par intervalle » ou  » en intermittence »?

    L’intermittence s’applique au silence mais la pensée y est plus fulgurante que pendant un intervalle 

    • Là, tu me pose une colle !

      Se taire par intermittence… je t’imagine sautillant entre deux… Je ne sais pas pourquoi…

      Tu as raison, l’intervalle est sans doute plus long.

  23. Si tu n’existais pas, je t’inventerai.. je n’ai jamais lu Henri Meschonnic, mais grâce toi j’en sais un peu plus. Mais que j’ai aimé te lire.. ton compte-rendu est écrit avec verve et je l’ai avalé goulument. Ton histoire est une belle histoire et ton diplôme une belle récompense! Je suis admirative.

    à bientôt ma douce Quichottine, je t’embrasse

    le matelot de la terre ferme

    • Ne le sois pas trop… je suis toujours la même.

      Merci, ma belle Chantal. Heureusement que tu n’as pas à m’inventer.

      Je t’embrasse fort. Passe une belle soirée.

  24. Tiens? je croyais avoir écrit ici…. mais après réflexion, ce devait être sur un des liens!

    Me voici de retour…mais le web, ce sera plus pour la semaine prochaine!

    Bisous

    • J’ai recopié tous les commentaires… Alors, tu as raison, ce devait être ailleurs.

      Merci d’être passée dès ton retour. J’ai tant de retard dans mes réponses que je me dis que c’est pour bientôt… et j’espère avoir la joie de te relire chez toi.

      Bisous, Mahina.

  25. Là, je suis assise et sans voix !!!!

    Présentation magistrale !

    Bisous ma Quich’ et merci

  26. Le silence par intermittence ce peut être une ponctuation, un souffle.

    Quand à l’intervalle silencieux il l’est pour les autres, pas pour soi-même puisque la pensée continue de résonner en nous.

    • Joli !

      Merci pour ces explications, Liza. La pensée est toujours présente, même pour celui qui attend tes prochains mots.