Le chevalier à la triste figure (2)

Quiconque serait passé cette nuit dans la bibliothèque désertée aurait trouvé un vieux chevalier en armure cabossée, assis sur un fauteuil ancien, un peu vermoulu, en train de compulser un grand livre.

— Voyons ce livre… en castillan ? C’est parfait !
Illustré par Gustave Doré ? Encore mieux… J’aime bien ce qu’il a fait de moi…

Un petit papier griffonné à la hâte s’échappa du volume. Don Quichotte s’en saisit et lut :

Cadeau de Géo. 15 août 2008.

— Eh bien ! Il en faut du temps à Quichottine pour ranger ses cadeaux !… Le quinze août ? Heureusement que je suis là… Mais ce n’est point mon rôle de mettre de l’ordre sur ses étagères… Pour qui donc me prend-elle ? Pour un manant ? Pour sa soubrette ? Le seul rôle qui me convienne est celui de chevalier errant.

D’ailleurs, c’est ce que j’ai dit à ce petit Alonzo Lopez, lorsqu’il me demanda qui j’étais… ce soir-là !

Le chevalier déplia sa longue silhouette et poursuivit son errance dans la bibliothèque. Il fallait qu’il retrouve les mots exacts. Ceux en castillan n’auraient pas convenu aux visiteurs qu’il attendait. Comment leur faire comprendre ce qu’il avait dit au bachelier ?

Y quiero que sepa vuestra reverencia que yo soy un caballero de la Mancha, llamado don Quijote, y es mi oficio y ejercicio andar por el mundo enderezando tuertos y desfaciendo agravios.

Il cherchait et retrouva enfin le livre de la veille. Le chapitre dix-neuf fut bientôt sous ses doigts.

Mais je veux apprendre à Votre Révérence que je suis un chevalier de la Manche, appelé don Quichotte, et que ma profession est d’aller par le monde redressant les torts et réparant les injustices.

(Don Quichotte, I, XIX, traduction de Louis Viardot)

— Voilà ! C’est ici…

Il reposa le livre ouvert près de la fenêtre, son épée en travers – immense marque-page ! – et continua sa rêverie en attendant le matin.

Dulcinée… Dulcinée ma mie… Que faites-vous à cette heure ?
Dormez-vous, bien sage, entre vos draps de satin brodés d’or ?
Rêvez-vous à celui qui viendra déposer un jour ses conquêtes à vos pieds ?
Ou êtes-vous à votre fenêtre, scrutant l’ombre, espérant en voir surgir votre Seigneur ?

Il rêvait… et ne fut éveillé qu’au matin par un petit colibri qui se posait sur la fenêtre. Il s’étira, bâilla… et alla ouvrir.

À la porte, les habitués, qui ne furent guère surpris de le retrouver là… et quelques nouveaux auditeurs que le bouche-à-oreille avait attirés.

C’est ainsi qu’en costume de troubadour, Azalaïs fit son entrée, suivie de près par d’autres poètes qui avaient su qu’un événement sans précédent (et peut-être sans suite), un épisode tout à fait unique allait se dérouler là, en l’absence de Quichottine. Busard, à tire d’ailes, se posa sur le miroir. Tilk, qui donnait le bras, comme il se doit, à Solyzaan et S.YO eut un peu de mal à trouver de la place, D’Océan ayant amené avec elle quelques sirènes et un dauphin…

Heureusement, les reines n’étaient pas loin et s’arrangèrent pour caser les membres de leur communauté. Cali, Kri, Florinette, Bigornette… et leur cousin le roi des mots, Enigmus. Tous se demandaient où était passé Al, le roi assoiffé de lecture. Il avait disparu ! Comme Quichottine ! Mais lui, on savait bien qu’il ne reviendrait pas. Son château avait été englouti dans les profondeurs d’un trou noir obéien.

Quand tous furent installés, Don Quichotte commença sa lecture :

[…] Mais je veux apprendre à Votre Révérence que je suis un chevalier de la Manche, appelé don Quichotte, et que ma profession est d’aller par le monde redressant les torts et réparant les injustices.

— Je ne sais trop, répondit le bachelier, comment vous entendez le redressement des torts, car de droit que j’étais, vous m’avez fait tordu, me laissant avec une jambe cassée, qui ne se verra plus droite en tous les jours de sa vie ; et l’injustice que vous avez réparée en moi, ç’a été de m’en faire une irréparable, et nulle plus grande mésaventure ne pouvait m’arriver que de vous rencontrer cherchant des aventures.

(Don Quichotte, I, XIX, traduction de Louis Viardot)

Les visiteurs se poussaient du coude… les visages se teignaient d’inquiétude. Il allait lire ? Tout de bon ? Ce n’était pas possible ! Personne n’était venu pour une simple lecture ! Alphomega s’enhardit…

— Votre Seigneurie…
— Plaît-il ?
— Vous ne voulez pas plutôt nous raconter ?
— Vous n’aimez pas les livres ?
— Si, j’en ai de pleines étagères, comme ici.
— … ?
— Puisque j’en ai chez moi, je ne viens pas chercher ici la même chose.
— … ?
— Vous comprenez, ce que j’aime lorsque je viens ici, c’est entendre la bibliothécaire raconter ses histoires…
— Ses histoires ?
— Mais oui, elle en écrit plein… même sur vous, parfois.
— Ah… Vous voudriez donc que…
— Oh oui ! Racontez-nous !

Tous les visiteurs, unanimes, hochaient la tête.

— Il suffit ! Vous allez me donner le tournis !

Diche Tribill dans son coin se mordait la langue pour ne pas éclater de rire. Yvon souriait… il était aux anges. Enfin les choses allaient bouger dans la bibliothèque. On retrouverait Quichottine, sans nul doute. Il suffisait de la chercher au bon endroit.

— En quelques mots… Puisque vous ne voulez pas les écouter tous…

« Jambe cassée pour Alonso Lopez – stop – Sancho dévalise une mule – stop – Départ du bachelier – stop – Don Quichotte hérite d’un surnom – stop – …

— STOP !

Le cri fusa de toutes les bouches à la fois, et laissa le chevalier… sans voix !
Les uns après les autres, les visiteurs allaient quitter les lieux.

Mais avant que le premier d’entre eux en eut franchit le seuil, on entendit la petite voix d
e Zarbifalafolle :

— Le surnom, c’était quoi ?
— « Le chevalier à la Triste-Figure ». C’est Sancho qui me l’a attribué !
— Pourquoi ?
— Parce qu’à la lumière de la torche, j’avais un visage à faire peur…

[…] je vous ai un moment considéré à la lueur de cette torche que porte ce pauvre boiteux ; et véritablement Votre Grâce a bien la plus mauvaise mine que j’aie vue depuis longues années : ce qui doit venir sans doute, ou des fatigues de ce combat, ou de la perte de vos dents.

(Don Quichotte, I, XIX)

— Mais… Vous avez accepté un tel outrage ?
— Ce n’était pas un outrage… Ne savez-vous donc point, Damoiselle, qu’un chevalier digne de ce nom doit avoir un surnom ? C’est grâce à lui qu’on se souvient de ses exploits ! C’est d’ailleurs ce que je lui ai dit, regardez-bien les mots !

– Ce n’est pas cela, répondit don Quichotte ; mais le sage auquel est confié le soin d’écrire un jour l’histoire de mes prouesses aura trouvé bon que je prenne quelque surnom significatif, comme en prenaient tous les chevaliers du temps passé. L’un s’appelait le chevalier de l’Ardente-Épée ; l’autre, de la Licorne ; celui-ci, des Demoiselles ; celui-là, du Phénix ; cet autre, du Griffon ; et cet autre, de la Mort ; et c’est par ces surnoms et ces insignes qu’ils étaient connus sur toute la surface de la terre. Ainsi donc, dis-je, le sage dont je viens de parler t’aura mis dans la pensée et sur la langue ce nom de chevalier de la Triste-Figure, que je pense bien porter désormais ; et pour que ce nom m’aille mieux encore, je veux faire peindre sur mon écu, dès que j’en trouverai l’occasion, une triste et horrible figure.

(Don Quichotte, I, XIX)

— Vous l’avez fait ?
— Damoiselle… Pour satisfaire votre curiosité, il vous faudra attendre le retour de Quichottine !

Zarbifa’ fut obligée de rejoindre ses blogopotes… Elle réfléchissait, et, comme elle est douée, elle trouva.
Puisque Quichottine n’était pas dans la bibliothèque, c’est qu’elle était ailleurs…

— Elle est à Yeur !

Ils s’égayèrent sur les chemins, en quête de la bibliothécaire. Qui la trouvera en premier ?
Vous le saurez demain !

… si vous le voulez bien !

60 commentaires à propos de “Le chevalier à la triste figure (2)”

  1. nulle part qu’à Yeur on ne te trouvera!
    lol
    juju 

  2. Ah! Comme je regrette d’être absente toute cette journée car il me faudrait de longs moments chez toi chaque jour et je fonctionne au ralenti depuis mon retour de vacances.
    Je me suis échappée quelques instants avec Quichotte chez « petit colibri », quelques troubadours, une ou deux reines et voilà que je vais partir sous la pluie pour mille et une choses à faire!
    Grâce à toi je découvre! Merci, quelles richesses tu nous offres chaque jour « maîtresse »!

    Je reviens ce soir, promis! Je m’installerai sagement dans un petit coin de la bibliothèque et je t’écouterai en me délassant.
    Belle journée à toi.
    Sophie

    • Je l’ai été aussi… C’est normal de n’être pas toujours derrière son écran !

      Si tu savais combien je suis en retard !

      Merci de les avoir visités… tu sais, cela me fait toujours plaisir !

      Tu reviens alors ? Pas de problème, je t’attends !

  3. un petit bonheur de te lire et de retrouver tous ces pseudos…me voici reine de ma communauté pour un court moment …c »est trop d’honneur… mais je sais que face à ton héros, je ne suis rien, et surtout peu de chose face au talent de Cervantès et à celui de Quichottine qui à force de travailler dessus a été contaminée, elle n’est pas là, elle est à Yeur, peut-être…mais elle est bien dans son histoire en tout cas notre merveilleuse bibliothécaire… j’aime beaucoup…Gros bisous et bonne journée à toi Quichottine…

    • Même pour un instant, je pense que ce doit être agréable d’être une reine… tant qu’on n’est pas obligé de le rester ;)

      Merci, Bigornette…

  4. Et bien me revoilà et j’ai tout lu,
    Je ne connais Yeur que de nom mais il semble qu’il fait bon y vivre d’après ce que je viens de lire
    bisous

  5. Pour paraphraser une série bien connue : »La vérité est ailleurs » (oui à Yeur), il en est de même de la beauté. D’ailleurs on parle bien de »la beauté du diable » comme quoi tout n’est pas dans les apparences et notre brave chevalier a bien raison se trouver grandi par sa transfiguration. Et ce visage, effrayant pour certains, n’est-il pas un atout dans son rôle de pourfendeur?

    • Je suis d’accord avec toi, il ne faut pas avoir l’air trop gentil lorsqu’on veut être un héros.

      Merci, Alphomega !

  6. Ah ces àyeur qui nous appellent jour et nuit et qui sont terriblement bienfaisants tant qu’ils ne nous emprisonnent pas tout entier ! bonne journée à toi Quichottine sur des sentiers aux douces courbes.

    • Merci à toi, Balaline… Il arrive que l’on ne puisse pas répondre à leur appel !

      Passe une belle soirée !

  7. Toujours très intéressante à lire, quand je viens chez-toi je redevient une enfant.

    • Merci, Solange… Alors, je vais jouer la mamie, te border doucement en te disant « Bonne nuit »…

  8. ah ah ah …j’adore..ce don quichotte est génial…je m’magine avec lui dans notre pays…quel pied et je suis sur qu’on aurait
    fait plein de bétises…

  9. lo resumes muy bien… nunca hay lugar para mi… o muy poco…

    • No quisiera que lo tomases mal, S.YO. Hay lugar para ti, muy cerquita de mi, en la biblioteca, y lo sabes.

      De veras, cada uno tiene su sitio, y tienes el tuyo. Todos son importantes para mi.

  10. Suis allée à yeur et j’étais toute seule à errer dans les couloirs…. brr
    suis revenue dare dare ave les autres!
    Bonne nuit
    Dany

  11. Coucou Quichottine, même absente physiquement de la bibliothèque, ta présence est néanmoins perceptible en filigrane comme si d’un oeil bienveillant tu avais organisé cette disparition pour faire un peu plus de place au chevalier à la triste figure.
    J’espère qu’il ne prendra pas ombrage de l’amitié qui te lie à tous ces blogueurs curieux et impatients de te lire …
    Gros bisous,

    • Il ne peut pas en prendre ombrage, Muad… Il sait bien que sans vous la bibliothèque n’existe plus !

      Gros bisous à toi aussi

  12. Ainsi fut-il nommé… tirste nom mais il avait raison, il a traversé les siècles. Beau moment encore dans ta bibliothèque, avec toute cette agitation et cette attention.

    • Oui, il avait raison… Mais heureusement ensuite il eut d’autres surnoms. :)

      Merci, Polly… Mais il est temps que je revienne.

  13. bonne journée Quichotine avec plein de bisous

    • Merci, Michka ! Je suis contente que tu aies laissé ton adresse, je vais pouvoir te remercier d’être passé alors que je me suis faite un peu rare :$

      Je te donne plein de bisous en retour ! Bonne soirée à toi !

  14. sourire…
    et deux liens de cliqués… aurais-je le temps d’aller voir d’autre »Quichottinopotes »? je ne sais… on fait de si belles découvertes en passant par chez toi…
    Adichat

  15. Merci de nous prêter un si bel ouvrage illustré r Gustave Doré ! Et en version originale !!!
    Il y a des trésors dans ta bibliothèque !
    LIZAGRECE

  16. coucou quichottine, je suis allée jusqu’à l’île d’A Yeur à la nage, et à l’approche de la terre ferme, les dauphins ont encerclés l’île, me bloquant aisni le passage! pffffffffffff! j’suis donc revenue écouter le triste chevalier…
    bisous

  17. je veux bien être une aile d’un moulin à vent (timidement!)

  18. tu m’étonnes d’un marque page impressionnant, en tout cas je m’aventurerais pas à lui « empreunter » son livre.. mais dis moi, j’espère qu’il n’est pas vexé parce qu’on adore que tu racontes les histoires.. dis ?
    bizzzzz

  19. cet après midi, j’ai visité une expo, j’y ai vu un Don Quichotte mais toi, tu n’étais pas là! Il va vraiment falloir que je me trouve une robe de trobairitz!

    • Je ne vais pas à toutes les expositions… c’est dommage !
      Tu vas en parler sur ton blog ?

      … et pour la robe, oui, il le faut absolument ! :D

      Merci, Azalaïs !

  20. Bien sûr que je sais que je ne suis pas obligée! sourire…j’aime cliquer sur les liens, il y en a où je m’attarde plus que d’autres…
    Bonne soirée

    • :)  Je sais que tu le sais… mais j’aime répéter pour que tous le sachent aussi…

      Il y a aussi des lieux où je m’attarde davantage ;)

      Bonne soirée à toi aussi, Mahina !

  21. Au moins quand on lui dit quelques mots il sait prendre des racourcis lol

    non je ne me moque pas  Mr don Quichotte a l’air assez suceptible je ne voudrais pas qu’il me renvoie comme une malpropre ^^

    je vous salue Mr le chevalier a la triste figure, et heu je vais essayer de retrouver quichottine :) 

    • mdr… Merci de l’avoir souligné ! :)

      Il ne te renverra pas… il est comme moi, il aime bien que tu sois là ! :D

      Merci de partir à ma recherche… je ne suis pas si loin !

      Gros bisous du début d’après-midi, Loralie. Merci !