Le baume de Fierabras

Ah ? Vous êtes là ? Pardon, je m’étais endormie en rêvant sur les belles images de mon nouveau cahier… Non, non, ne partez pas, je ne suis pas vraiment fatiguée. C’était seulement un joli rêve, empli de couleurs et de musique. Au loin un peu en retrait, il y avait un magnifique chevalier qui me regardait d’un air sévère. C’est vrai que je lui avais volé la vedette en ne le laissant pas tout seul sur sa page. Mais ce n’est que partie remise parce que je sais qu’il n’est pas loin et qu’il est prêt à se montrer magnanime lorsque j’aurais recours à lui.

Voyons… où en étions-nous ?

Don Quichotte était de nouveau assommé dans la mansarde, par l’archer cette fois… qui venait de prendre la fuite. C’est ce qui arrive quand les forces de l’ordre se trouvent prises dans une mauvaise passe. Je suppose que pour eux non plus il n’est pas question de dire « j’obéissais à la consigne ». Quelle consigne ? il n’y en avait pas bien sûr !

(Il n’y a que l’allumeur de réverbère
pour obéir aveuglément à la consigne !)

L’archer avait agi seul, de sa propre initiative… donc, il ne pouvait pas être disculpé, il n’y avait pas de circonstances atténuantes.

Nous en sommes donc là. Si Don Quichotte meurt, il ira en prison, avant de payer de sa vie ce crime. C’est évident.

Vous y croyez, vous ? Moi pas. Nous n’en sommes qu’au chapitre dix-sept de la première partie… et il y a deux parties au roman…  La première partie est loin d’être terminée, elle comprend cinquante-deux chapitres ! Vous voyez bien que don Quichotte ne peut pas mourir !

Il n’est pas mort. Il demande même à Sancho de lui apporter des ingrédients pour fabriquer un onguent ! Mais oui, un onguent, un baume, une pommade !… non en fait, pas une pommade. Vous comprendrez pourquoi ce ne peut pas être une pommade dans deux minutes. Un peu de patience, vous là-bas au dernier rang !

Don Quichotte a besoin d’un peu d’huile, du vin, du sel et du romarin.  Vous croyez qu’il se lèverait pour aller chercher ça lui même ? Que nenni ! C’est au pauvre Sancho d’aller les lui quérir. C’est normal, c’est lui l’écuyer, le valet… bref, le compagnon à tout faire !

Sancho se leva, non sans douleur de la moelle de ses os, et s’en fut à tâtons chercher l’hôte ; et, rencontrant sur son chemin l’archer, qui s’était arrêté près de la porte, inquiet de savoir ce que devenait son ennemi blessé :

« Seigneur, lui dit-il, qui que vous soyez, faites-nous la grâce et la charité de nous donner un peu de romarin, d’huile, de vin et de sel, dont nous avons besoin pour panser un des meilleurs chevaliers errants qu’il y ait sur toute la surface de la terre, lequel gît à présent dans ce lit, grièvement blessé par les mains du More enchanté qui habite cette hôtellerie. »

Quand l’archer entendit de semblables propos, il prit Sancho pour un cerveau timbré ; mais, le jour commençant à poindre, il alla ouvrir la porte de l’hôtellerie, et appela l’hôte pour lui dire ce que ce bonhomme voulait. L’hôte pourvut Sancho de toutes les provisions qu’il était venu chercher, et celui-ci les porta bien vite à don Quichotte, qu’il trouva la tête dans ses deux mains, se plaignant du mal que lui avait causé le coup de lampe, qui ne lui en avait causé d’autre pourtant que de lui faire pousser au front deux bosses assez renflées ; car ce qu’il prenait pour du sang n’était que l’huile de la lampe mêlée à la sueur qu’avaient fait couler de son front les angoisses de la tempête passée.

Voilà… Vous avez vu ? L’archer n’était qu’en embuscade ! Il ne s’était pas enfui, il attendait de savoir si ça en valait la peine. Par contre, Sancho, le pauvre Sancho qui n’est là que pour pouvoir un jour être nommé gouverneur, Sancho a aussi mal que don Quichotte ! Au fait… nous l’avons laissé sanguinolent… Mais il n’en est rien ! il suffit de sauter dix lignes pour comprendre :

[…] ce qu’il prenait pour du sang n’était que l’huile de la lampe mêlée à la sueur qu’avaient fait couler de son front les angoisses de la tempête passée.

Quelle histoire ! Ce n’est pas du sang ! Il a donc la tête bien dure notre héros ! Il ne s’agit que d’un mélange d’huile et de sueur… de quoi faire rire dans les chaumières !

Don Quichotte est donc tout à fait en état de fabriquer son baume… que va-t-il faire de ces quatre ingrédients ?

Finalement, il prit ses drogues, les mêla dans une marmite et les fit bouillir sur le feu jusqu’à ce qu’il lui semblât qu’elles fussent à leur point de cuisson. Il demanda ensuite quelque fiole pour y verser cette liqueur ; mais, comme on n’en trouva point dans toute l’hôtellerie, il se décida à la mettre dans une burette d’huile en fer-blanc, dont l’hôte lui fit libéralement donation. Puis il récita sur la burette plus de quatre-vingts Pater noster, autant d’Ave Maria, de Salve et de Credo, accompagnant chaque parole d’un signe de croix en manière de bénédiction. À cette cérémonie se trouvaient présents Sancho, l’hôte et l’archer, car le muletier avait repris paisiblement le soin et le gouvernement de ses mulets.

Ce qui m’étonne à ce moment de la lecture, c’est qu’il me semblait bien que don Quichotte était dans la mansarde… à aucun moment nous ne l’avons vu descendre du grenier où Maritorne lui avait arrangé un lit. Je me demande bien où il peut faire bouillir sa mixture… Je suis sûre que Chana se régalerait à rédiger le bêtisier de cet épisode…

Par contre, il faut imaginer le temps que prendront les prières… Quatre prières, multipliées par quatre-vingt… ça fait… Ah ! Je vois que vous suivez ! C’est bien. (Je ne vais pas vérifier, je n’ai pas pris ma calculette !) Je crois qu’à ce moment de l’histoire tout le monde devait rire à gorge déployée !… Pour ce qui est du nombre de signes de croix, je vous laisse deviner. Poursuivons.

Cela fait, don Quichotte voulut aussitôt expérimenter par lui-même la vertu de ce baume, qu’il s’imaginait si précieux. Il en but donc, de ce qui n’avait pu tenir dans la burette et qui restait encore dans la marmite où il avait bouilli, plus d’une bonne demi-pinte.

Je vous disais bien qu’il ne s’agissait pas d’une pommade ! Notre héros boit ce baume… et… il va sans doute devoir le payer d’une façon ou d’une autre… Ce serait trop simple autrement…

(Je suis sûre que comme moi
,
vous vous attendez au pire !)

Continuons un peu plus…

Mais à peine eut-il fini de boire qu’il commença de vomir, de telle manière qu’il ne lui resta rien au fond de l’estomac ; et les angoisses du vomissement lui causant, en outre, une sueur abondante, il demanda qu’on le couvrît bien dans son lit et qu’on le laissât seul. On lui obéit, et il dormit paisiblement plus de trois grandes heures, au bout desquelles il se sentit, en s’éveillant, le corps tellement soulagé et les reins si bien remis de leur foulure, qu’il se crut entièrement guéri ; ce qui, pour le coup, lui fit penser qu’il avait vraiment trouvé la recette du baume de Fierabras, et qu’avec un tel remède il pouvait désormais affronter sans crainte toute espèce de rencontres, de querelles et de batailles, quelque périlleuses qu’elles fussent.

Pas très ragoûtant tout ça ! en image… ça donne… Ah ? vous n’en voulez pas ? L’image est là pourtant, pas loin ! il suffit de cliquer là.

Enfin, après sa sieste tout va bien… et tellement bien d’ailleurs que nous allons aller je crois de mal en pis, parce que, voyez-vous, si j’en crois ce qui est écrit, maintenant, notre héros est invincible !

Pour la suite, il faudra attendre jeudi…

… si vous le voulez bien !

58 commentaires à propos de “Le baume de Fierabras”

  1. Mais, c’est la potion magique d’Astérix !!!!!!!
    Le placébo psychologique !!!!
    …..ça semble assez stupide, comme ça, mais ça fonctionne !!!!!…..-c’est tout à fait vrai : il suffit de se convaincre d’etre forts pour le devenir !!!!

    Bravo !….Cervantes !

    • Un placébo fonctionne toujours quand on ne sait pas que c’est un placébo !!!
      Cervantès est génial, mais ça tu le savais ….

      Bonne reprise, Chris !

  2. Je n’ai pas encore pris mon petit déjeuner, je n’ai plus faim…..Merci je suis au régime. Bises

  3. J’aurais donc tout mon temps pour venir lire ton texte en entier… Je viens d’en découvrir la première partie et en faisant un clic sur le chevalier lol, de visiter un blog bien sympathique… Merci.
    Bisous et bonne semaine,

    Syl

    • Je dois dire que c’est ma façon a moi de le remercier de m’avoir aidé pour ma bibliothèque. C’est un ami silencieux mais très présent.

      Bonne semaine à toi aussi, Sylviane et merci pour ta longue visite !

  4. Il suffit d’ y croire. L’ effet placebo existe vraiment.
    Je ne sais pas si sa mixture rend invincible, mais apparemment, elle remplace très bien l’ ipéca ! 🙂
    Bises 🙂

  5. Fichier hébergé par Archive-Host.com Moi qui voulait lui vendre de la bave de bigorneau c’est raté…c’est ça qu’il aurait du prendre, il n’aurait pas été malade….bisous…bonne journée quichottine…

    • Si tu avais réussi à lui vendre de la bave de bigorneau, sachant tous ses pouvoirs, nous ne serions pas sortis de l’auberge ! C’est le cas de le dire… D’ailleurs, il va falloir que je les en fasse sortir très vite !!!

      Bonne journée à toi aussi !

    • Pourquoi tu es allée voir ????

      Je suppose que tu as pu imaginer…
      Plein de bises à toi aussi. Passe une douce soirée…

  6. C’est un excellent remède qui lave de ttes les noirceurs et humeurs mauvaises..Il est comme un sou neuf,il peut repartir …VITA

  7. J’ai pleuré en lisant tes mots Quichottine.
    Merci pour tout.

    Je t’aime, belle inconnue.

    PM

  8. coucou dame quichottine, je suis d’accord quelle cruauté d’avoir crucifier ces pauvres oiseaux. je vais aller chez chana pour son bêtisier. l’allumeur de réverbère me fait automatiquement penser au petit prince…
    bonne soirée
    amitiés de béa

    • Merci pour ta visite, Béa. Tu verras, le Bêtisier est à déguster sans modération…

      Pour le Petit Prince, c’est évident ! merci…

      Bonne soirée  toi, Béa

  9. Bon lundi de janvier accompagné de mes souhaits pour cette nouvelle année… J’ai un peu tardé mais mieux vaut tard que jamais!

  10. Reprise sur les chapeaux de roues ! c’est reparti pour la vie à 100 à l’heure ! youpi ! bon allez , le temps de faire les bisous du soir on respire ! lol bonne soirée , christel
    http://toutsurbarrueco.over-blog.com ( avec un spécial annif’ demain mais d’ici là chuuuuuuuuuuuuuuuuuut ! )
    http://annecymaville.over-blog.com ( avec un petit vote au weborama pour ceux qui ont le temps et qui veulent pas quon se laisse doubler par les tortues ! superglue ces tortues punaise ! lol )

    • Gros bisous à toi, Dulcinée… Merci pour ce moulin dont tu as illustré ta carte de voeux. J’espère que tu auras raison de ceux que tu vas rencontrer dans la vraie vie et qu’ils ne seront pas trop nombreux.

  11. je suis toute mêlée dans l’histoire moi là!
    Quichottine,tu en as des idées…
    merci de tes visites et A+

  12. Bonsoir Quichottine,
    Bon, ça va aller maintenant ! Je serai absent jeudi. Je rattraperai comme je pourrai.
    Bisous.

    • Bonsoir Jean-Michel… ne t’inquiète pas, tu pourras toujours rattraper. Je sais que le temps n’est pas extensible et tu as beaucoup de soucis en ce moment.

  13. Bonsoir, la ptite-ptite fillotte du Señor, je lis avec interêt que tu suscites l’intérêt. Mais que diable cette rapidité à dévoiler l’intrigue, on est pas dans Columbo ici ! Cervantes lui-même y a mis du temps, alors dire que Le Chevalier n’est prêt de mourir, ce n’est pas grave, cela hatise le suspens. Mais écrire que l’Ecuyer sera Gouverneur, c’est un raccourci qui tue le suspens sur la vie du Fidèle. Heureusement que tu l’as écrit vite, personne ne l’a remarqué. Seuls, les initiés savent qu’il veut devenir Calife à la place du Calife ! Alors prenons le temps et faisons nos prières en entier et … jeudi cela me semble trop tôt …

    • Je ne suis pas d’accord avec toi… Cervantès a parlé de l’île de Sancho dès le chapitre 7 de la première partie, juste avant l’épisode des moulins… Personnellement je trouve que tu en dévoiles davantage… parce que pour l’instant, dans mon récit, qui suit page à page celles de Cervantès, il n’est question que de cette « carotte » que don Quichotte brandit pour faire avancer son écuyer.

      Jeudi, il ne sera question que de quitter l’auberge… et de la fin du chapitre 17. Je ne vais pas en dire plus, ce serait, je l’admets, plus que prématuré !

      En tous cas, merci pour cette lecture attentive que tu fais de mes récits.

    • Le Beaumes-de-Venise ? C’est grave si je ne connais pas ? je suppose que ce doit être un vin délicieux…

    • Je ne sais pas… Pour ma part, je pense que je n’aurais pas pu le faire ! Mais lui, il y croit tellement !

  14. Bonjour de Chine,impec comme d’habitude, et il faut attendre jeudi,!!  bisous , bon lundi ,亲吻和早晨好 bye
  15. Sacrée potion! C’est une potion anti GDB (gueule de bois…)  peut-être… Bonne journée Quichottine.

  16. Bonjour Quichottine, toujours aussi agréable à lire.. mais attendre jeudi… c’est long.. cette mixture tu n’en aurais pas un flacon par hasard, car si cela pouvait soulager mes douleurs de cervicales et de dos… je suis preneuse…lol…
    bonne journée et prends bien soin de la bibliothèque que nous aimons tant.
    plein de bisous
    chantal

    • Désolée pour la mixture…. ce n’est qu’un placébo mais je t’en aurais bien passé un flacon si j’en avais…

      Bonne journée à toi aussi…

  17. D’accord, j’attendrai jeudi pour la suite mais je te le dis haut et fort : s’il avait ajouté de la bave de bigorneau à sa mixture, je suis sûre qu’il n’aurait pas vomi. Je suis allée voir l’image en lien. Bon ça va, il vomit en arrière plan. De toutes les façons, je ne suis plus à ça près après toutes ces histoires baveuses. Lol. Il a de la chance ton héros. Qui n’aimerait pas être frappé d’invincibilité ? En revanche, tu laisses entendre que cela risque d’aller de mal en pis. Bon, on verra cela jeudi.
    Bon lundi dame Quichottine. Merci beaucoup pour les clins d’oeil à mon bêtisier. Tu es d’une générosité incroyable.

    • J’en suis sûre également… depuis que je connais le pouvoir de cet ingrédient auquel nul n’aurait pensé, je fais tout pour m’en procurer !

      A jeudi, Chana. J’espère que mon héros ne te décevra pas.
      Passe une belle soirée

  18. commetu le sais je ne suis pas écrivain, mais j’aime découvrir les bons sujets, c’est pourquoi je fais un arrêt régulier chez toi, aujourd’hui n’ayant pas l’âme à faire du ménage – je viens de faire un article sur mon département, viens me voir et donnes moi ton avis

    VENEZ NOMBREUX – Ainsi vous viendrez peut être en vacances chez nous – au lieu de courir les pays étrangers – de très belles choses à découvrir chez nous..je suis trés modeste

    Amitiés Mamy ANNICK

    • Grad merci pour ces fleurs, Michka ! Passe une belle soirée anniversaire avec Cachemire. Un câlin pour elle.

  19. bou un peu dégoutant monsieur ….
    mis bon si celà guérit ! alors ! 
    bisous /IRIS

  20. Aaaah les hommes et leurs bobos … De quoi écrire un livre ! Ton héros ne déroge pas à la règle 😉 Bonne nuit Quichottine ! 

  21. Tu vois Quichottine, je crois bien que tes articles procurent autant de réconfort que bien des remèdes de charlatans …
    Je te souhaite une très agréable soirée,
    Bises,

  22. C’est marrant ce mot « baume ». Aline Schulman traduit « élixir ». Il me semble que ça convient mieux.

    • Le mot espagnol,  bálsamo, correspond bien au mot baume… mais, il faut revenir au premier sens… Dans le langage moderne, elixir, tu as raison, convient mieux.

      … Je vois que tu suis en t’appliquant, tu vas bientôt recevoir une médaille…