Don Quichotte, fin du chapitre XVII

Vous êtes là à traîner comme des âmes en peine, notre Cali déprime, le plus grave, c’est que Chris aussi, ce matin, voyait tomber la pluie !

Je sais bien que dans ces cas-là, il faut se trouver un endroit, abrité, chaleureux (si possible), lumineux… ce serait encore mieux… et si, de plus c’était accompagné d’un bon récit, un peu drôle, ce serait tout à fait parfait.

Ce matin, comme moi, contrairement à la plupart d’entre ceux que je venais de visiter, je me sentais en forme (abus de vitamine C), j’avais décidé de vous parler de soleil, de fleurs, de petits oiseaux qui gazouillent dans les roseaux, de tout ce que la nature pourrait être si nous n’étions pas sous la pluie…

  • Le soleil, j’en ai mis… un arc-en ciel dans le merci pour tout ce que vous faites pour moi.

MERCI
  • Les fleurs, j’en ai mis une et vous m’avez apporté les autres… Comme ces bouquets que l’on donne après la représentation.
  • L’histoire, elle est arrivée, comme promis… elle est là, elle vous attend.

Il  restait même parmi les résumés de ma page d’accueil un don Quichotte en texte et en image…

Ah ? Je suis d’accord, ça ne compte pas… Parce que je vous ai promis qu’aujourd’hui nous finirions le chapitre dix-sept… Alors, je vous attends, là-bas, tout près de la fenêtre, sous ce vitrail que Chris a dessiné pour moi. J’attends que vous soyiez tous prêts…

Chut… écoutez… pas la pluie, que nenni ! La pluie a fui mes pages.

Le soleil brille et don Quichotte, guéri grâce au baume du géant Fierabras a déjà enfourché Rossinante. Il est prêt.

Dès qu’ils furent tous deux à cheval, don Quichotte, s’arrêtant à la porte de la maison, appela l’hôtelier, et lui dit d’une voix grave et posée :

« Grandes et nombreuses, seigneur châtelain, sont les grâces que j’ai reçues dans votre château, et je suis étroitement obligé à vous en être reconnaissant tous les jours de ma vie. Si je puis les reconnaître et les payer en tirant pour vous vengeance de quelque orgueilleux qui vous ait fait quelque outrage, sachez que ma profession n’est pas autre que de secourir ceux qui sont faibles, de venger ceux qui reçoivent des offenses, et de châtier les félonies. Consultez donc votre mémoire, et, si vous trouvez quelque chose de cette espèce à me recommander, vous n’avez qu’à le dire, et je vous promets, par l’ordre de chevalerie que j’ai reçu, que vous serez pleinement quitte et satisfait. »

L’hôte lui répondit avec le même calme et la même gravité :

« Je n’ai nul besoin, seigneur chevalier, que Votre Grâce me venge d’aucun affront ; car, lorsque j’en reçois, je sais bien moi-même en tirer vengeance. J’ai seulement besoin que Votre Grâce me paye la dépense qu’elle a faite cette nuit dans l’hôtellerie, aussi bien de la paille et de l’orge données à ses deux bêtes que des lits et du souper.

– Comment ! c’est donc une hôtellerie ? s’écria don Quichotte.

Comment ça ?

Imaginez un peu… Vous vous appelez Noé, vous croyiez être en train de faire une croisière paradisiaque pendant que tout le monde autour de vous se noie dans le déluge divin… Vous êtes sûr que cette arche, construite de vos propres mains, sur ordre de votre Seigneur tout puissant, ne peut être qu’un magnifique navire, tout scintillant dans le soleil qui finira par se monter un jour, et, brusquement, on vous fait savoir « avec calme et gravité » qu’il s’agit d’un vieux rafiot qui prend l’eau de toute part… et que vous n’allez pas tarder à couler. Vous feriez quoi, vous ?

Moi je sais, je commencerais  par rester coite, mais pas assez longtemps pour que l’eau me submerge, et ensuite, je me débrouillerais pour colmater les fissures

Eh bien, en quelque sorte, c’est ce que va faire le chevalier… qui, pour une fois, ne perd pas le Nord.
C’est une auberge ? Soit ! Il ne paiera pas. Ecoutez-les échanger ces mots qui font sourire, mais qui pour nous, rassurez-moi, seraient tout à fait incongrus !

– En ce cas, reprit don Quichotte, j’ai vécu jusqu’ici dans l’erreur ; car, en vérité, j’ai pensé que c’était un château, et non des plus mauvais. Mais, puisque c’est une hôtellerie et non point un château, ce qu’il y a de mieux à faire pour le moment, c’est que vous renonciez au payement de l’écot ; car je ne puis contrevenir à la règle des chevaliers errants, desquels je sais de science certaine, sans avoir jusqu’à ce jour lu chose contraire, que jamais aucun d’eux ne paya logement, nourriture, ni dépense d’auberge. En effet, on leur doit, par droit et privilège spécial, bon accueil partout où ils se présentent, en récompense des peines insupportables qu’ils se donnent pour chercher les aventures de nuit et de jour, en hiver et en été, à pied et à cheval, avec la soif et la faim, sous le chaud et le froid, sujets enfin à toutes les inclémences du ciel et à toutes les incommodités de la terre.

– Je n’ai rien à voir là dedans, répondit l’hôtelier : qu’on me paye ce qu’on me doit, et trêve de chansons : tout ce qui m’importe, c’est de faire mon métier et de recouvrer mon bien.

– Vous êtes un sot et un méchant gargotier, » repartit don Quichotte ; puis, piquant des deux à Rossinante, et croisant sa pique, il sortit de l’hôtellerie sans que personne ne le suivît ; et, sans voir davantage si son écuyer le suivait, il gagna champ à quelque distance.

Vous avez vu ? Il s’en va, non sans avoir insulté l’aubergiste… C’est vrai, il ne part pas d’un pas tranquille, il « pique des deux » et au galop, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, voilà le chevalier hors de portée.

J’ai envie de lui dire : « Tu n’as rien oublié ?« 
Je suis persuadée que si je disais ça, il me dirait : « J’ai mon casque et ma lance, j’ai endossé mon armure, Rossinante est sellé« … et il me jetterait un regard courroucé !

Mais voilà, nous, nous avons lu, nous avons vu l’indice que Cervantès nous a donné… sur le scénario, le chevalier a piqué des deux… et il n’a pas regardé…

C’est ça ! Il a oublié Sancho Pança !

Pauvre Sancho… J’ai mal pour lui… Il était malade comme un chien, il s’est oc
cupé de son maître mais ce dernier, après l’avoir hissé sur son âne, ne se préoccupe pas de lui… pas plus que s’il se fût agi d’un simple ballot de chiffons.

Pauvre Sancho… Comme ils n’ont personne sous la main pour payer le montant de la nuitée, de tout le dérangement… et Dieu sait qu’il y en a eu (vous êtes témoins, vous avez assisté aux différentes scènes !), c’est Sancho qui va faire les frais de l’aventure.

La mauvaise étoile de l’infortuné Sancho voulut que, parmi les gens qui avaient couché dans l’hôtellerie, se trouvassent quatre drapiers de Ségovie, trois merciers de Cordoue et deux marchands forains de Séville, tous bons diables et bons vivants, aimant les niches et la plaisanterie. Ces neuf gaillards, comme poussés d’un même esprit, s’approchèrent de Sancho, le firent descendre de son âne, et, l’un d’eux ayant couru chercher la couverture du lit de l’hôtesse, on jeta dedans le pauvre écuyer. Mais, en levant les yeux, ils s’aperçurent que le plancher du portail était trop bas pour leur besogne. Ils résolurent donc de sortir dans la basse-cour, qui n’avait d’autre toit que le ciel ; et là, ayant bien étendu Sancho sur la couverture, ils commencèrent à l’envoyer voltiger dans les airs, se jouant de lui comme on fait d’un chien dans le temps du carnaval.

Qu’aurait pu faire Sancho ? Rien, il est déjà très mal en point, il crie, il supplie sans doute, mais lorsque don Quichotte l’entend, qu’il file à son secours, il ne peut que voir son écuyer s’envoler dans les airs, et aussitôt retomber, comme une marionnette, un pantin désarticulé.

sancho-1781

Illustration extraite de
« Histoire du fameux chevalier Don Quichotte de la Manche » Edition John Bowle (Londres 1781)


C’est vrai, c’est écrit !

Il le vit monter et descendre à travers les airs, avec tant de grâce et d’agilité, que, si la colère ne l’eût suffoqué, je suis sûr qu’il aurait éclaté de rire.

Il essaya de grimper de son cheval sur le mur ; mais il était si moulu et si harassé, qu’il ne put pas seulement mettre pied à terre. Ainsi, du haut de son cheval, il commença à proférer tant d’injures et de défis à ceux qui bernaient Sancho, qu’il n’est pas possible de parvenir à les rapporter. Mais, en dépit de ses malédictions, les berneurs ne cessaient ni leur besogne ni leurs éclats de rire, et le voltigeur Sancho ne cessait pas non plus ses lamentations, qu’il entremêlait tantôt de menaces et tantôt de prières ; rien n’y faisait, et rien n’y fit, jusqu’à ce qu’ils l’eussent laissé de pure lassitude.

C’est ainsi que tout finit ? Pour le bien de don Quichotte, oui. Je l’imagine mal escaladant le mur, sautant dans la cour d’un pas léger… Vous savez combien pèse une armure ? On laisse Sancho… aux bons soins de Maritornes…

… qui, même sale et pas aussi jolie qu’une princesse, a bon coeur… comme la belle Hélène de Georges Brassens… ceci dit je ne sais pas si son jupon était mité, ni si les trois capitaines… (Vous avez raison, je digresse encore et nous n’avons pas fini le chapitre !)

On lui ramena son âne, et l’ayant remis dessus, on le couvrit bien de son petit manteau. Le voyant si harassé, la compatissante Maritornes crut lui devoir le secours d’une cruche d’eau, et l’alla tirer du puits pour qu’elle fût plus fraîche. Sancho prit la cruche, et l’approcha de ses lèvres ; mais il s’arrêta aux cris de son maître, qui lui disait :

« Sancho, mon fils, ne bois pas de cette eau ; n’en bois pas, mon enfant, elle te tuera. Vois-tu, j’ai ici le très-saint baume (et il lui montrait sa burette) ; avec deux gouttes que tu boiras, tu seras guéri sans faute. »

Je vois à vos regards que vous pensez que Cervantès va remettre sur le tapis le baume du géant, et que nous allons avoir droit à une scène de plus pour prouver les vertus du comique de répétition
Chut ! Je termine…

À ces cris, Sancho tourna les yeux tant soit peu de travers, et répondit en criant plus fort :

« Est-ce que, par hasard, Votre Grâce oublie déjà que je ne suis pas chevalier, et veut-elle que j’achève de vomir le peu d’entrailles qui me restent d’hier soir ? Gardez votre liqueur, de par tous les diables ! et laissez-moi tranquille. »

Dur métier que celui d »écuyer d’un chevalier errant… Il arrive même qu’on se mette en colère… Quant à Maritornes… elle n’est pas si mauvaise que d’aucuns le pensent. Elle va même payer du vin à Sancho.

Achever de dire ces mots et commencer de boire, ce fut tout un ; mais voyant, à la première gorgée, que c’était de l’eau, il ne voulut pas continuer, et pria Maritornes de lui apporter du vin, ce qu’elle fit aussitôt de très-bonne grâce, et même elle le paya de sa poche ; car on dit d’elle, en effet, que quoiqu’elle fût réduite à cet état, elle avait encore quelque ombre éloignée de vertu chrétienne.

Dès que Sancho eut achevé de boire, il donna du talon à son âne, et, lui faisant ouvrir toute grande la porte de l’hôtellerie, il sortit, enchanté de n’avoir rien payé du tout, et d’être venu à bout de sa résolution, bien que c’eût été aux dépens de ses cautions ordinaires, c’est-à-dire de ses épaules. Il est vrai que l’hôtelier garda son bissac en payement de ce qui lui était dû ; mais Sancho s’était enfui si troublé qu’il ne s’aperçut pas de cette perte.

Les voilà repartis, don Quichotte et Sancho, pour une nouvelle aventure, loin de cette hôtellerie qui était peut-être un château, mais qui fut surtout le décor de nombreuses infortunes…

Nous laisserons donc notre héros et son valet se reposer…

Jusqu’à la prochaine aventure.

24 commentaires à propos de “Don Quichotte, fin du chapitre XVII”

  1. Oui, ils ont bien mérité ce repos ces deux là. Et on les veut en forme pour jeudi. A+

  2. Bonsoir Quichottine, il me semble que ton blog a changé d’habit, non ? Je passais te remercier de ton gentil com. J’ai coché la case pour qu’on puisse mettre des images dans les com (je l’avais déjà fait mais apparemment ce n’était pas très au point…). Maintenant ça devrait marcher. Je te souhaite une très bonne soirée et te dis à bientôt. Encore merci pour l’intention, c’est ça qui compte, et gros bisou à toi.

    • Tu as bonne mémoire, Thaddee. J’ai ajouté la bannière que m’a confectionnée Chris, et je suis en train de faire des essais pour le reste. Mais c’est bien agréable, c’est comme mettre des fleurs dans sa maison.

      J’essaierai une autre fois, pour l’image que tu n’as pas eue… Merci d’être là.

      Passe une belle soirée…

  3. Je vais te dire un secret…. alors………..chuuuuut… ne le répètes pas……. « je n’ai jamais lu ce livre« …… hooo, mais j’ai 36254 excuses…. heu… je ne vais pas les dire ici, et maintenant.
    … ET dans son infinie bonté, ma muse (elle est brune, petite avec des….. mais je suis hors sujet) m’a donné ton adresse…. alors, les binocles sur mon naseau, je découvre cet oeuvre…… wahouuu…. je suis épaté (de canard bien sur) de la qualité de ton discours……

    • Je ne suis pas sûre du tout de l’avoir lu moi-même, parfois, puisque je découvre tout le temps du nouveau, un détail auquel je n’avais pas pris garde…

      Alors, bien sûr, je ne vais rien dire !

      Merci d’être là, Chevalier, et merci aussi pour ton humour, que j’apprécie beaucoup sur ton blog !

  4. Encore un chapitre qui fini bien pour le chevalier. Merci de tout coeur pour ta lecture de ce chef d’oeuvre que je n’ai jamais voulu commencer. Du coup, peut-être qu’un jour je me plongerai dans ce recueil et que j’y retrouverai tout ce que tu nous en a dit. Grosses bises.

    • Je ne sais pas, Ruegy… Je dois dire que pour moi, c’est un vrai plaisir que de le lire avec vous… J’aime que tu sois là.

  5. Coucou Quichottine, je suis de retour après mon escapade romaine qui me comble de bonheur.
    Les images se bousculent dans ma tête, mes mollets gardent encore quelques traces des longues marches sur les pavés romains mais mon coeur est rempli d’allégresse.
    Je te fais plein de gros bisous en attendant de pouvoir venir te lire plus longuement.
    Bises,

    • J’ai aperçu ce matin la louve romaine… elle traînait vers chez toi et je crois bien qu’elle y a élu domicile. 😉

      Repose-toi bien de ce voyage. Je te souhaite un bon anniversaire…

  6. Bonjour de Chine,c’est toujours un plaisir de venir lire tes articles , bonne journée ,亲吻和早晨好 bye
    • Toi aussi.. Je sais que tu es parmi les fidèles de mon fil de discussion sur le forum… Merci à toi Laorra !

  7. Bonne nuit Quichottinette!

    merci à toi aussi d’être là et de venir de temps en temps te promener en ma compagnie dans les parcs de Pékin ^__-

    • Tu as été parmi les premières à m’accueillir sur le forum d’Over-blog… et j’aime me promener chez toi, dans les parks de Pékin… alors pas de danger que je t’oublie ! Merci à toi, d’être là !

  8. Sortie de ma couette pour prendre quelquesfous rires magistraux avec Sancho et son maître. J’ai beaucoup aimé le Don Quichotte de Tilk.
    Mais je me demande quand même si utopiste de chevalier errant ne manquait pas de lucidité : )))
    Bisous.

    • J’aime bien savoir que tu prends des fous rires, c’est le but…

      J’avance aussi dans ma relecture… il m’arrive de préférer Sancho, mais j’aime bien aussi pouvoir me dire que Don Quichotte avait le pouvoir de transformer ce qu’il voyait.