Victor Hugo

Ce siècle avait deux ans…

Mais non, je ne vous dirai pas ce poème que j’ai appris pourtant il y a bien  longtemps.

Je ne vous raconterai pas non plus mes lectures adolescentes, cette Légende des siècles dont j’ai égaré le second volume.

Je ne vous peindrai pas les tours de Notre Dame de Paris que d’autres ont désormais chantées, la  belle Esméralda que je vois sur l’une de mes toiles.

Cigana-com-Bandolim.jpg
Jean-Baptiste-Camille Corot
La Gitane à la mandoline
1874

Je n’ouvrirai pas non plus Les Misérables que je ne peux plus lire sans avoir à l’esprit les voix de Jean Gabin et de Bourvil

Bref, c’est décidé, c’est dit, je ne vous parlerai pas de Victor Hugo. D’autres l’ont déjà fait, très bien.

Pourquoi donc cet article ?

Juste pour vous confier un poème, que j’ai dû lire bien souvent. Mon livre s’ouvre tout seul à sa page…

XXIII

Quien no ama, no vive.

Oh ! qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage,
Si jamais vous n’avez épié le passage,
Le soir, d’un pas léger, d’un pas mélodieux,
D’un voile blanc qui glisse et fuit dans les ténèbres,
Et, comme un météore au sein des nuits funèbres,
Vous laisse dans le coeur un sillon radieux ;

Si vous ne connaissez que pour l’entendre dire
Au poète amoureux qui chante et qui soupire,
Ce suprême bonheur qui fait nos jours dorés,
De posséder un coeur sans réserve et sans voiles,
De n’avoir pour flambeaux, de n’avoir pour étoiles,
De n’avoir pour soleils que deux yeux adorés ;

Si vous n’avez jamais attendu, morne et sombre,
Sous les vitres d’un bal qui rayonne dans l’ombre,
L’heure où pour le départ les portes s’ouvriront,
Pour voir votre beauté, comme un éclair qui brille,
Rose avec des yeux bleus et toute jeune fille,
Passer dans la lumière avec des fleurs au front ;

Si vous n’avez jamais senti la frénésie
De voir la main qu’on veut par d’autres mains choisie,
De voir le coeur aimé battre sur d’autres coeurs ;
Si vous n’avez jamais vu d’un oeil de colère
La valse impure, au vol lascif et circulaire,
Effeuiller en courant les femmes et les fleurs ;

Si jamais vous n’avez descendu les collines,
Le coeur tout débordant d’émotions divines ;
Si jamais vous n’avez, le soir, sous les tilleuls,
Tandis qu’au ciel luisaient des étoiles sans nombre,
Aspiré, couple heureux, la volupté de l’ombre,
Cachés, et vous parlant tout bas, quoique tout seuls ;

Si jamais une main n’a fait trembler la vôtre ;
Si jamais ce seul mot qu’on dit l’un après l’autre,
JE T’AIME ! n’a rempli votre âme tout un jour ;
Si jamais vous n’avez pris en pitié les trônes
En songeant qu’on cherchait les sceptres, les couronnes,
Et la gloire, et l’empire, et qu’on avait l’amour !

La nuit, quand la veilleuse agonise dans l’urne,
Quand Paris, enfoui sous la brume nocturne
Avec la tour saxonne et l’église des Goths,
Laisse sans les compter passer les heures noires
Qui, douze fois, semant les rêves illusoires,
S’envolent des clochers par groupes inégaux ;

Si jamais vous n’avez, à l’heure où tout sommeille,
Tandis qu’elle dormait, oublieuse et vermeille,
Pleuré comme un enfant à force de souffrir,
Crié cent fois son nom du soir jusqu’à l’aurore,
Et cru qu’elle viendrait en l’appelant encore,
Et maudit votre mère, et désiré mourir ;

Si jamais vous n’avez senti que d’une femme
Le regard dans votre âme allumait une autre âme,
Que vous étiez charmé, qu’un ciel s’était ouvert,
Et que pour cette enfant, qui de vos pleurs se joue,
Il vous serait bien doux, d’expirer sur la roue …
Vous n’avez point aimé, vous n’avez point souffert!

Novembre 1831

Victor Hugo, Les Feuilles d’automne,
in Les Orientales, Les Feuilles d’automne,
Paris, Le Livre de Poche, 1966,
p.260-262.

62 commentaires à propos de “Victor Hugo”

  1. Ce texte est tellement profond, tellement intime aussi dans les blessures de ce grand écrivain … Que c’est beau … Merci Quichottine ! Bon dimanche !

    • Je crois que certains poèmes sont peut-être plus beaux, plus touchants… mais qu’on en a tellement parlé qu’il est inutile de les remettre en mémoire. Je pense par exemple à « Demain, dès l’aube… » qui est vraiment poignant dans sa simplicité, tellement différent… Tous les écoliers le lisent, un jour ou l’autre.

      Celui-ci est plus rarement montré.

      Bon dimanche à toi aussi, Bandolera.

  2. hé ben dis donc,
    « vous n’avez point aimé, vous n’avez point souffert… »
    oh toujours l’amour qui fait souffrir…
    et l’amour qui fait tant de bien ? jamais on en parle  ! ?
    qui apporte légèreté de l’être de l’âme !
    espoir, grandeur d’âme ? jamais ! ?
    mais c’est tout juste si on ose y croire
    histoire de se consoler quand on n’a personne ?
    je préfère souffrir et l’avoir rencontré…
    que de savourer l’idée de m’en être protégé…
    avoir rencontré quelque chose qui y ressemble…
    sans être sûre que cela soit vraiment ça,
    faute de comparaison et d’envie de comparer…
    celui qui par l’odeur, t’inspire, te ravive…
    par son regard t’émeut…
    souffrance certainement
    mais le plaisir fait vite oublier cette souffrance ? !
    dis donc, ça m’a fait m’agiter un peu ton poème …
    bisous…je l’ai lu à mon mari…
    bisous…

    • Il y a de très beaux poèmes sur l’amour partagé… sur le bonheur d’aimer.

      Un poème pour vous deux… et bon dimanche !

       

      Abat-jour
       

      Tu demandes pourquoi je reste sans rien dire ?
      C’est que voici le grand moment,
      l’heure des yeux et du sourire,
      le soir, et que ce soir je t’aime infiniment !
      Serre-moi contre toi. J’ai besoin de caresses.
      Si tu savais tout ce qui monte en moi, ce soir,
      d’ambition, d’orgueil, de désir, de tendresse, et de bonté !…
      Mais non, tu ne peux pas savoir !…
      Baisse un peu l’abat-jour, veux-tu ? Nous serons mieux.
      C’est dans l’ombre que les cœurs causent,
      et l’on voit beaucoup mieux les yeux
      quand on voit un peu moins les choses.
      Ce soir je t’aime trop pour te parler d’amour.
      Serre-moi contre ta poitrine!
      Je voudrais que ce soit mon tour d’être celui que l’on câline…
      Baisse encore un peu l’abat-jour.
      Là. Ne parlons plus. Soyons sages.
      Et ne bougeons pas. C’est si bon
      tes mains tièdes sur mon visage!…
      Mais qu’est-ce encor ? Que nous veut-on ?
      Ah! c’est le café qu’on apporte !
      Eh bien, posez ça là, voyons !
      Faites vite!… Et fermez la porte !
      Qu’est-ce que je te disais donc ?
      Nous prenons ce café… maintenant ? Tu préfères ?
      C’est vrai : toi, tu l’aimes très chaud.
      Veux-tu que je te serve? Attends! Laisse-moi faire.
      Il est fort, aujourd’hui. Du sucre? Un seul morceau?
      C’est assez? Veux-tu que je goûte?
      Là! Voici votre tasse, amour…
      Mais qu’il fait sombre. On n’y voit goutte.
      Lève donc un peu l’abat-jour.
       

      Paul Géraldy, Toi et moi, 1885

       

  3. Cette poésie c’est de la magie.
    Je l’ai relue deux fois, mais je crois bien que je reviendrais la relire. Parfois. Quelle belle plume pour exprimer un tel amour.
    Je n’ai pas beaucoup lu Victor Hugo le poéte.
    Mais là je dois reconnaitre que les commentaires sont difficiles à poser. 
    Prenants écrits.
    Merci pour ta bibliothèque si riche.
    Bonne journée ma très chère Quichottine
    Bisous pleins

    • Je sais que les commentaires ne sont pas toujours évidents… Parfois, nous écrivons des mots que nous voudrions différents. Mais cette trace de ton passage est importante.

      Bonne journée à toi aussi…

  4. C’est un bien beau poème que tu nous offres là ma chère Quichottine, et il me fait penser dans sa structure et son sens profond à celui de R. Kipling « Si » qui est un de mes poèmes préférés.

    Gros bisous du Brésil, et si tu veux aussi du sable, j’en aurai pour toi!
    😉

    • Tu as raison, Sophie…

      Et pour le sable… j’en veux bien un peu, si tu me le donnes de la main à la main 😉

      Bisous de la fin de journée…

  5. Quichotine, tu as le droit de me filer deux claques……je connais Hugo poète, mais je ne connaissais pas celui-là !
    Lu, relu, bu, distillé……la FORCE des mots…..la puissance  ……l’aisance……c’est bien lui…..aucun doute.
    Le thème, par contre, est un peu « usé ». Hugo était un grand, grand technicien de l’écriture, comme beaucoup de peintres  étaient  des techniciens de la peinture plutot que des génies innovateurs.
    Parler d’aimer est plus facile…….parler de ne pas aimer moins évident……parler de hair…..?????’
    Bref, je lui préfère les poètes maudits !….j’ai fait une personnelle sur les Fleurs du Mal !

    • Parler de haïr ? Pourquoi pas…
      C’est une idée.

      … mais je ne te donnerai pas deux claques !!!! Je crois que Victor Hugo était un écrivain qui savait trouver les mots, qui jouait avec, sans aucun problème… je crois aussi qu’il avait le don des envolées lyriques, de la chute aussi. Mais si je trouve certains de ces poèmes merveilleux, d’autres ne me plaisent pas du tout.

      Je pense qu’il faut que chacun se construise sa propre anthologie… j’ai construit la mienne et je l’enrichis chaque jour.

      Baudelaire, Les Feurs du mal… certains textes m’ont beaucoup plu. Pas tous.

      Tu vois, moi j’ai aimé ton poème, « Icare », celui du 30 août dernier…

  6. Bisous à toi,cela ira mieux dès que j’aurai eu mon infiltration je pourrai être plus présent

    • Evite quand même, Sophie, ce serait trop loin pour que je puisse t’apporter des oranges… 😉

      Bonne soirée, Dulcinée…

  7. Pour moi « les Misérables » est l’oeuvre qui reste gravée dans ma mémoire avec tous les personnages attendrissants.
    J’aime beacoup cette peinture de Corot.
    Bonne soirée
    Santounette

    • C’est un roman que j’ai beaucoup aimé… Et c’est sans doute l’un de mes tableaux préférés ! Je suis contente qu’ils te plaisent…

      Bonne soirée à toi aussi…

  8. J’aime Hugo, Je connais pratiquement tous ses poèmes, sauf celui là lol

    Il est magnifique pourtant…je suis ravie de l’avoir lu, on à du mal à s’en détacher….

    je comprend pourquoi ton livre s’ouvre tout seul à cette page 😉

  9. Je n’ai point trop l’âme de poète accordée à Victor Hugo, ce soir. Par contre je ne me lasse jamais de ta Gitane à la mandoline…
    Gros bisous, Quichottine 

    • On peut aimer ou non Victor Hugo… mais pour la Gitane, je crois que Quichottine remuerait ciel et terre !

      Je suis heureuse qu’elle te plaise…

  10. J’aime venir ici : Que de souvenirs littéraires et poétiques surgissent soudain pour mon plus grand plaisir « Vous n’avez point aimé, vous n’avez point souffert »…. Vous n’avez point vécu.
    Bisous

  11. Juste un petit passage pour relire quelques vers, admirer à nouveau cette belle gitane et te souhaiter une très belle journée … Bises Quichottine !

    • Non, je ne crois pas. Je pense qu’ils se croisent souvent mais que leur union n’est pas obligatoire.

  12. je ne le connaissais pas..Je laisse le texte faire son oeuvre en moi. VITA

    • Heureusement que d’autres réussissent à traduire les émotions que l’on contient faute de mots pour les dire…

  13. Ca calme ! Il n’y a pas à dire, il était doué ce cher Victor ! Bonne soirée.

  14. Un livre de Victor Hugo qui m’a plu plus que d’autres : Claude Gueux…
    Touchant !

  15. Ah de bons auteurs que voilà!

    Don quichotte aurais-tu une passion bien épicée pour le 19ème siècle? c’est celui que je préfère: Les Hugo, Balzac, Zola, Daudet, Maupassant….
    Quelle époque, quels talents!

    Merci d’être passé chez moi. 

    Bon dimanche à toi.

    PM!

    • Don Quichotte, je ne sais pas… mais j’avoue que Quichottine aime bien !

      Je te souhaite un bel après-midi.

  16. Je me suis bien balladée hier et je reviens aujourd’hui. ton blog est une véritable mine d’or. Peinture et littérature, de quoi fouiner, chiner et de beaux textes, les tiens, qui accompagnent ce que tu nous présentes. J’aime bien venir chez toi de temps en temps. Bises Penny

    • Merci Penny. Moi, je regrette de ne pas pouvoir aller chez toi plus souvent. Lorsque j’y vais, je me régale…

  17. Bonjour Quichottine, le poème de Victor Hugo est très beau mais il me laisse un petit arrière goût d’amertume inexpliquée.
    Je préfère m’attarder sur cette magnifique gitane, peinte par Jean-Baptiste Camille Corot, qui apparaît en vignette à chaque fois que je viens dans ta bibliothèque.
    Plongée dans ses rêveries, elle joue d’une main distraite une douce mélodie …
    Je te souhaite une très bonne soirée.
    Bises,

  18. Bonsoir …c’est beau ce poeme que j’ai du lire autrefois mais dont je ne me rappelais point la teneur qui est réelle hélas ….j’spere que tu vas bien ? et que ce long week end monotone et gris d’automne s’est bien passé ? gros bisous /IRIS

  19. ton passage sur mon livre d’or m’a beaucoup ému….les mots me manquent!

    • La photo est splendide, Maurice, j’adore le reflet des montagens dans l’eau ! Merci pour cette belle image !

      Passe une bonne journée…

  20. J’aime beaucoup la poésie de Victor Hugo. Bonne nuit Quichottine et merci de tes visites. Ta fidélité me touche énormément..

  21. J’ai, moi aussi, un penchant très relevé pour ce siècle et ses auteurs que j’ai lus et relus sans jamais me lasser. Cette gitane est magnifique. Merci Quichottine. Bises à toi et très bonne journée

    • Je ne me suis pas lassée non plus. J’y reviens toujours avec bonheur.

      Merci Chana, passe une belle journée.

  22. Ah ben moi, c’est la première fois que je le lis :-O
    Bonne semaine

    • Je suis contente de te l’avoir fait découvrir alors…

      Merci beaucoup pour cette image, Kri Bonne semaine à toi aussi !

    • Merci Yoppodo… Je dois dire que je viens de passer un moment délicieux en lisant ta réponse au jeu des sept vérités… Merci !