Premier chapitre, les noms.

Nous sommes donc entrés dans le livre, par la grande porte. Nous avons évité le vestibule parce qu’il était bien encombré.

(Illustration de Gustave Doré)

Dès les premières lignes du conte, nous faisons la connaissance de certains personnages. Le gentilhomme, une gouvernante, une jeune nièce et un valet, homme à tout faire, tant aux champs que dans la maison. Ce qui peut attirer l’attention du lecteur avisé que nous sommes, c’est que l’accent est mis sur leur âge.

Il avait en sa maison une gouvernante qui passait quarante ans, une nièce qui n’en avait pas encore vingt…

Enfin… l’affirmation est à nuancer. Ce sont les femmes qui ont un âge, pas le valet. Ce dernier n’est représenté que par ce qu’il sait faire, pour son utilité. 

Apparaît le personnage principal :

L’âge de notre gentilhomme frisait la cinquantaine. Il était de forte complexion, sec de corps et maigre de visage, fort matineux et grand amateur de chasse.

Nous n’en saurons guère plus dans cette première page. La description succincte du héros va permettre aux dessinateurs et peintres de tous les temps de créer leur don Quichotte. Il faudra que je vous montre dans mon grand livre d’images… mais ce sera un autre jour. Pour l’heure, nous n’avons pas fini de parcourir le premier chapitre, celui que Cervantès ne devait pas rater s’il voulait que son lecteur le suive sur les chemins qu’il lui proposait.

Le décor est planté, le héros se dessine, c’est une simple esquisse… Et il lui faut un nom.

La fin du premier chapitre est presque entièrement consacrée à ce nom. Un nom, c’est sans doute important. Mais là, il est dérisoire. Il ne s’agit que d’un surnom, et il est tellement peu pris au sérieux que même l’auteur du roman émet des doutes à son sujet.

On veut dire qu’il avait le surnom de Quixada ou Quesada (car en ceci il y a quelque différend entre les auteurs) encore que par conjectures vraisemblables on pense qu’il s’appelait Quixana ; mais cela importe peu à notre conte. Il suffit qu’en la narration d’icelui on ne sorte un seul point de la vérité

Que j’aime cette phrase ! Merci au traducteur qui nous entraîne vers ce langage un peu étrange que nous ne trouverions aujourd’hui que dans les écrits de Montaigne… Enfin, j’exagère bien sûr, mais le conteur peut tout, puisqu’il a tous les droits.

Ici, je redeviens troubadour et je raconte l’épopée qui commence au moment où notre gentilhomme va se trouver un nom.

Ce gentilhomme, ayant passé ses journées d’oisiveté à s’imprégner du contenu des livres de chevalerie, décide un jour de se faire chevalier errant. Il fourbit ses armes (là commence la dérision, mais personne ne ferait cas de lui s’il avait pu se les acheter à Tolède ou se les faire forger dans l’antre de Vulcain)…

Il s’entraîne en baptisant son cheval. Ce n’est qu’une vieille rosse… mais, en l’appelant Rossinante, il en fait l’un des plus célèbres destriers de toute la chrétienté ! Le cheval est nommé, le chevalier peut, à son tour, se trouver un nom qui le transforme.

Ce sera Don QuichotteDon Quichotte de la Manche pour faire bonne mesure. Un chevalier, ça doit avoir une patrie à défendre. La Manche, c’est son pays.

Et puis, pour avoir quelqu’un à qui dédier ses exploits, il s’invente un amour… une Dame, Dulcinée.

Ce sera la plus belle, la plus aimée, la plus chérie des héroïnes de la littérature, la moins réelle aussi. Dulcinée, ce n’est qu’un mirage, l’image transformée d’un souvenir. À travers quel prisme don Quichotte l’a-t-il rêvée ? Par quel miracle Aldonza Lorenzo, fille d’un laboureur du Toboso « Fort avenante et de laquelle il avait été autrefois amoureux » devient-elle cette merveilleuse Dulcinée du Toboso ?

Cela a-t-il vraiment de l’importance ?

Ce qui est important, ce sont ces noms que le chevalier attribue à ceux qui seront les héros de son histoire.


Le conte peut enfin se dérouler
, les mots ont commencé leur magie. Un simple gentilhomme, très quelconque, une vieille rosse décharnée et une paysanne vont pouvoir brusquement devenir autres et nous faire rêver.

[Lire la suite]


Les extraits sont, sauf mention contraire, ceux de la traduction de César Oudin et François Rosset, revue par Jean Cassou pour le volume paru aux éditions Gallimard « La Pléiade » en 1949. Mon volume personnel est l’édition de 1963.

30 commentaires à propos de “Premier chapitre, les noms.”

    • … j’essaierai de ne pas vous décevoir pour la suite. Il faut que je reprenne le deuxième chapitre. J’avais perdu le fil, je crois bien.

  1. Encore récente dans cette blogocommunauté,
    Le retour à tes sources me sied :
    Point encore je n’avais tourné ces pages,
    Je m’aperçois ne point connaître en entier,
    Les subtilités de cet ouvrage…
    Aurais-tu version à me conseiller,
    Qu’à cette ignorance je puisse remédier ?

    De grosses bises à toi, Quichottine, et une bonne journée !

    • Prends la version d’Aline Schulmann, au Seuil (2 volumes, collection « points »). C’est une version « moderne » mais elle est agréable à lire.

      Sinon, il y a une  version numérisée sur Internet… (même plusieurs) à télécharger gratuitement en format pdf.

      Merci d’être allée là…

  2. C’est drôle de découvrir dans cet article l’impact qu’à eu ce livreau moins sur moi…
    En effet, sans l’avoir jamais lu je pensais le connaître…
    Pourquoi, certainement parce que chaque personnage a acquis une forme d’immortalité en transformant son nom, ou son caractère en quelque chose de « commun », que chacun partage sans pour autant en connaître la source…
    J’en parlais il y a peu avec ma dulcinée…
    Alors, maintenant que tu nous as attirés dans tes filets il va falloir nous y maintenir par le charme de ton récit…

  3. Je suis bien contente d’avoir découvert ton blogue, c’est vraiment très intéressant. Tu as beaucoup de matériel, j’ai de la lecture pour un bon bout.

    • Merci !

      Tu n’étais pas passé depuis longtemps, Marc… Moi non plus d’ailleurs (sourire contrit)

      Je vais essayer de le faire rapidement !

      Gros bisous à toi

  4. Je decouvre ce blog et la facon dont est narré ce livre !

    Original mais surtout facinant ! J’ai deja lu les 2 tomes, mais je crois bien que je vais revivre l’histoire petit a petit à la maniere dont tu la propose !

    Bravo Quichottine ! DonQuijote est vraiment fier de toi ! 😉

    • Comme c’est gentil de ne pas t’être contenté des articles de « pause » !

      Ici, pour l’instant, j’en suis restée au chapitre 19 de la première partie… il y a de quoi faire encore !

      J’aime savoir que tu l’as déjà lu en entier et que tu te proposes d’en suivre ma lecture… Merci d’être là.

  5. C’est important les premières pages pour camper les personnages. J’ai regardé les commentaires et vu que Don Quijote t’en avait laissé un ! Bisous et bonne soirée

    • Oui… C’est un blogueur découvert récemment, mais qui fait de très belles photos.

       

      Bisous et bonne journée, Brigitte.

  6. Bonsoir Quichottine,
    Donc, l’auteur nomme ses personnages, les décrit rapidement et l’histoire peut commencer.
    Bises et à bientôt,
    Martine

  7. Diantre, en voila un bon résumé. 

    Il se trouve qu’à la lecture d’icelui, le piètre messire que je suis, sans âge mais aux savoirs-faire multiples et variés, se sent comme happé, investi d’une mission à laquelle il ne lui faudra pas faillir. 

    Moi, Rolando de Hiédra, fils de roturier et modeste lecteur, je m’engage à lire chacun des écrits relatifs au conte merveilleux de l’illustre Cervantes publiés par la donzelle Quichottine et à les commenter de ma plume alerte et généreuse.

    A+
    Roland

    • Ma foi, Messire, vous savez parler aux dames !
      Si vous employez ce langage, il se peut que je sois soudainement conquise…
      Comment faire autrement ?
      Encore que… Si Roland me sied, Hiédra… je ne sais !

      Seriez-vous de la famille Lierre ?
      Me laisserai-je lier ?
      Il faudra à mon père en faire la demande !

      Mais j’accepte volontiers ce vôtre engagement.
      L’avenir seul dira ce qu’il en adviendra…

  8. De cete famille-là, vous avez totalement raison. Mais de la branche anglaise comme ma grand-mère a dû vous le narrer naguère.

    Remémorez vous donc. Vous fîtes sa rencontre il y a à peine quelques semaines.

    L’engagement est pris gente dame. Roland s’y tiendra. Pour l’aider, il s’est procuré aujourd’hui une version du Livre. (Edition Points année 1997).

    • Cela est vrai, Messire… J’en ai souvenance !

      PS : Tu as acheté la version d’Aline Schulmann ? Tu as bien fait ! Je me suis bien amusée en la lisant !
      Tu vas être un lecteur assidû alors ? Il va falloir que je fasse attention à ne pas dire de bêtises… 😉
      Passe une belle soirée, Roland.

    • Non, j’en avais entendu parler mais je ne l’ai pas lu… Merci pour ce lien.

      J’ai toujours cru en l’importance des noms, de ceux que l’on donne aux êtres et aussi à tout ce qui nous entoure. Je crois que c’est essentiel.

      Pour don Quichotte, je suis d’accord avec toi.

      Passe une belle soirée, Muad…

  9. Je ne connaissais pas cette page.
    La  « naissance »  de Don Quichotte est vraiment un chef-d’œuvre.
    Un grand échalas et un cheval de réforme : Carrément des anti-héros….
    Bisous ma Quich’ et bonne fin de journée

    • C’est avec de tels héros que l’on fait les plus belles histoires, Clo… à mon avis.

      … Bisous, très sincères. Prends soin de toi

  10. Pour l’avoir lu une fois, une seule, mes yeux s’en souviennent, dans une édition ou les pages étaient du genre papier pour cigarette, je peux t’assurer que des souvenirs enfouis vont remonter à la surface ! je compte sur toi, ma seconde est si loin ! tu as raison, c’est fou les noms qui ont acquis valeur de symbole générique avec ce roman.Il commençait bien ton blog : gros bisous et bonne fin de semaine.

    • C’est un livre tellement important (en nombre de pages ) que l’on ne peut pas faire autrement si l’on veut tout mettre dans le même volume.

      Je l’ai lu aussi dans les mêmes conditions, mais un peu plus tôt.

      Merci d’être revenu aux sources de mon blog… d’avoir suivi ce lien.
      Gros bisous et bonne fin de semaine à toi aussi.